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30e rencontres Henri Langlois, Festival international des écoles de cinéma, du 7 au 14 décembre 2007
site web de la manifestation
- 48 courts métrages en compétition
- Leçon de cinéma de Matthieu Amalric
- Table ronde "Critique et jeune création cinématographique"
- Nombreuses séances spéciales
- Palmarès repris à la Cinémathèque française de Paris
PETIT METRAGE DEVIENDRA GRAND
Comment ont débuté les plus grands ? Quels ont été leurs tout premiers mouvements de caméra, leurs tâtonnements de mise en scène ou de direction d'acteur ? Tout cinéphile rêve de connaître ces instants fragiles où naît un réalisateur, dévoilant la bribe initiale de sa vision du monde et du cinéma. Depuis 1977, les Rencontres internationales Henri Langlois permettent d'assister à ce quasi miracle du 7e art en proposant une sélection de films d'école venus du monde entier. Denis Garnier, le directeur du Théâtre-Scène nationale de Poitiers qui organise la manifestation, et Luc Engélibert qui en assure la direction artistique font un véritable travail de diffusion et de révélation des jeunes auteurs, ainsi que d'accompagnement. Au cours de la semaine que dure ce festival des écoles de cinéma, des rencontres ont ainsi lieu entre les créateurs des cinq continents, permettant aux idées de circuler.
Il faut une certaine curiosité et un amour profond du cinéma pour venir voir, un peu au hasard, des courts métrages d'auteurs inconnus et débutants. Mais quel bonheur pour le public (constitué en partie de jeunes et scolaires de la région) que de découvrir balbutiments cinématographiques et coups d'essai en forme de coups de maître, et bien sûr de prendre le pouls de la production actuelle et à venir, le tout avec un temps d'avance. Ainsi, des réalisateurs aujourd'hui reconnus comme Nick Park (avec le premier Wallace et Gromit), Ethan Coen, Pascale Ferran, Noémie Lvovsky ou encore Arnaud Desplechin sont autrefois passés par Poitiers.
Ceux qui auront fait l'effort de se rendre aux Rencontres ne seront pas déçus, tant la programmation fait l'objet d'un choix minutieux et éclectique. Cette année, ce sont 1 357 films issus de 189 écoles et 45 pays qui ont été envoyés à Poitiers avec l'espoir de concourir pour l'un des neuf prix mis en jeu. Au final, seuls les 48 meilleurs d'entre eux (32 fictions, 9 animations, 6 documentaires, 1 expérimental) seront projetés. Mais des séances spéciales viendront également ponctuer ces sept jours, comme la rediffusion des films primés par le public ces dix dernières années, une rétrospective des Prix Découverte de la Critique française et une soirée réservée aux courts de la section "Angoisse". Bien sûr, la traditionnelle leçon de cinéma sera l'occasion d'évoquer les dessous de la mise en scène avec un réalisateur confirmé : en l'occurrence l'acteur-cinéaste Matthieu Amalric. Enfin, des moments de rencontre permettront au public d'échanger avec les réalisateurs tandis qu'une grande table ronde réunira quelques professionnels (les journalistes Patrick Carré et Charlotte Garson, le producteur Ludovic Henry, le réalisateur et critique Luc Lagier…) autour du sujet "critique et jeune création cinématographique". Si cette création est à l'image du festival et de sa programmation, la relève est assurée, le dynamisme et l'éclectisme en prime !
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30e rencontres Henri Langlois, Festival international des écoles de cinéma
Mardi 11 décembre
Jour 1 : Leçon de vie
Quand on lui a proposé de venir parler de ses films et de son travail de réalisateur, Mathieu Amalric a tout simplement dit non. "Mes films, ils sont faits, maintenant", explique-t-il. "Et puis vous savez, en tant qu’acteur ou réalisateur, on n’est pas sans cesse à la maison en train de regarder ses films ! Ce qui est amusant, c’est de les faire." D’où l’idée de troquer la traditionnelle "leçon de cinéma" contre un condensé de séance de travail où l’acteur-réalisateur et son complice Philippe Di Folco malaxent, commentent et nourrissent sur scène leur nouveau scénario presque achevé. Dans un décor de maison de campagne rustique (plaques électriques, frigo, table, canapé, télé), fumant cigarettes sur cigarettes et mangeant une soupe fabriquée en direct, exactement comme s’ils étaient réellement en pleine phase de rédaction, ils ont donné vie au processus de création et de réflexion qui entoure la genèse d’un film.
Cela passe, bien sûr, par des discussions à bâtons rompus autour du sujet du film (une tournée de femmes du néo burlesque américain qui se déshabillent sur un mode comique) ou par la relecture critique d’une scène-clef qui frôle le cliché, mais également par des échanges animés sur tout ce qui constitue la matière première du film. Ainsi, régulièrement, les deux scénaristes s’interrompent pour écouter une chanson (Nina Simone, les White stripes…), regarder un extrait de film (All that jazz, Meurtre d’un bookmaker chinois…) ou feuilleter un recueil de photos (Nan Goldin). Ils y puisent une ambiance, un ton ou encore la silhouette d’un acteur. La première scène de danse dans Lenny confirme ainsi Mathieu Amalric dans son désir d’organiser de vraies représentations de néo-burlesque pendant lesquelles il pourra filmer le show en train de se faire et les réactions spontanées du public. La prestance de Roy Schneider dans All that jazz le lance sur le sujet de l’acteur principal. Qui choisir ? Un acteur français "bancable" pour obtenir un plus gros budget ? Un inconnu ? Un choix crucial qui dépend avant tout de l’économie dans laquelle ils choisissent de tourner. Car faire des films, ce n’est pas seulement écrire un scénario ou prendre une caméra. La question de l’argent revient sans cesse, comme un leit motiv : obtention d’une subvention de la région Poitou-Charente, échecs à la Commission d’avance sur recette, budget prévisionnel plus élevé que prévu…
Avec une immense générosité, Mathieu Amalric et Philippe Di Folco nous épargnent tous les discours formatés sur la mise en scène ou l’écriture pour nous faire simplement mais sincèrement toucher du doigt tout ce qu’englobe réellement la création d’un film. Ils donnent ainsi à voir en direct l’alchimie miraculeuse (mélange d’inspiration, de recherches, d’économie, d’entêtement et de système D) qui permet de mener un projet à bien. Mieux, en offrant cette improvisation théâtrale de leur quotidien (près de deux heures à réinventer au plus juste le fil ténu de leur travail passé), ils partagent avec nous des moments presque intimes de fragilité, de doute et d’espoir. Une complicité rare et touchante qui donne l’impression d’observer fugacement le mécanisme artistique en action.
Mercredi 12 décembre
Jour 2 : Et le court dans tout ça ?
Grâce à la multiplication des supports et des techniques, il ne s’est jamais autant tourné de courts-métrages. De qualité professionnelle ou filmés à l’aide d’un téléphone portable, ces "petits" films osent comme les grands, voire mieux et avec plus d’audace. Et pourtant… Qui parle de courts métrages aujourd’hui ? Qui s’en fait l’écho ou le prescripteur, si ce n’est une poignée de résistants persuadés (à juste titre mais à contre-courant) que la valeur n’attend point le nombre de minutes : les festivals, évidemment, grands découvreurs et diffuseurs devant l’éternel, les écoles de cinéma, qui le produisent et le soutiennent à bout de bras, le monde scolaire, qui a vu en lui le formidable outil pédagogique et artistique qu’il peut être… et la presse dans tout ça ? A quelques rares exceptions-près (parmi lesquelles le magazine Brefou l’ancienne émission Courts-circuits), la presse cinéma comme généraliste souffre dans ce domaine des mêmes carences qu’ailleurs. De plus en plus suiveuse, les yeux rivés sur le box-office, avide d’appartenir à une chapelle bien définie ou de défendre toujours les mêmes têtes, elle détourne pudiquement les yeux dès qu’il s’agit de courts-métrages. Non qu’elle en blâme l’existence : elle se contente de l’ignorer presque systématiquement.
Un constat amer qui servait de point de départ à la très sérieuse table ronde organisée par les rencontres de Poitiers : "Critique et jeune création cinématographique", à laquelle participait Thierry Méranger et Charlotte Garson des Cahiers du cinéma, Jacques Kermabon de Bref, le producteur Ludovic Henry (Les films au long cours), Carole Desbarats (directrice des études à la FEMIS) et Luc Lagier, ancien rédacteur en chef de Court-circuit. Les intervenants n’ont malheureusement pu que reconnaître la difficulté pour le court métrage, rarement distribué dans les circuits classiques de salle, d’attirer l’attention des critiques. On en arrive même à la situation paradoxale de voir des courts qui, passant de festival en festival, totalisent bien plus d’entrées que certains longs… et demeurent malgré tout condamnés à une confidentialité artificielle. Tant que personne ne rompt le cercle vicieux, le serpent continue désespérément à se mordre la queue : si personne ne peut voir les courts, à quoi bon en parler ? Et si personne n’en parle, pourquoi les montrer ? Avis aux amateurs, il y a peut-être un créneau à prendre.
Jeudi 13 décembre
Jour 3 : Menace sur l’intelligence
Anne Théron, membre du jury, a profité d’un échange avec la presse pour aborder la menace qui pèse désormais sur les festivals de cinéma, soulignant à quel point il faut se réjouir de la simple existence des Rencontres Henri Langlois. "Le gouvernement mène une politique d’extrême droite en terme d’action culturelle", a ainsi déclaré la scénariste, réalisatrice et écrivain. "En diminuant les crédits des DRAC (Direction générale des Affaire culturelles), cela risque à terme de supprimer les 3/4 des festivals en France. Les Rencontres de Poitiers sont menacées, je trouve cela inquiétant et dommage. Et c’est encore pire dans le théâtre vivant. On en vient à se dire que les chiffres annoncés (autour de 6 à 10% de réduction, pris sur la marge artistique) ne sont qu’un effet d’annonce. Finalement, le gel ne sera que de 3%, et on sera soulagé… alors que c’est extrêmement grave !" Une vision pessimiste que partage Ludovic Henry, producteur de courts métrages : "Il y a une volonté politique de supprimer toute une partie de la diffusion culturelle, et c’est un vrai problème pour les différentes filières de création. Nous devons rester vigilants."
Le festival de Poitiers, qui existe depuis trente ans, est en partie financée par la DRAC, qui l’aide par ailleurs à mettre sur pieds différentes actions culturelles à destination des scolaires comme du monde carcéral. Il est donc directement concerné par les questions budgétaires, malgré une réputation qui n’est plus à faire. "Notre rayonnement est international", confirme Laura Koeppel, assistante à la direction artistique. "Mais il existe de nombreux préjugés sur les films projetés, à cause du terme « films d’école ». Pourtant, c’est un moyen formidable de déceler de vraies potentialités ! C’est aussi l’occasion pour ces jeunes réalisateurs de montrer leur film à un vrai public, non constitué de professeurs ou d’amis, et ce souvent pour la première fois." La curiosité, la générosité et l’esprit de découverte menacés par les bulldozers du populisme et du mépris pour la Culture, (éternellement jugée non rentable en dépit des milliers d’emplois qu’elle procure et des actions sociales qu’elle permet) voilà un combat malheureusement bien banal… et qui semble à notre époque plus que jamais un peu perdu d’avance. A quand le retour de David contre Goliath ?
MpM
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