Le rendez-vous est fixé à l'Express sur St Denis, ça tombe
bien c'est juste à côté du siège rédactionnel d'Ecran-Noir.
Pile à l'heure, Anne-Marie Cadieux s'approche de moi, vêtue de gris
et les cheveux courts, elle se présente et propose qu'on s'installe
à une table "pour être plus à l'aise".
Les serveurs la connaissent... Elle m'avouera plus tard que ce café
est un point de rencontre des gens du spectacles "parcequ'il
est ouvert tard le soir et tôt le matin et en plus le service est
parfait!"
Nô, ouverture du FFM
Le spectacle, duquel est inspiré Nö, dure 8 heures -Les
septs branches de la rivière d'Ota-, ce qui n'est pas le cas
du film fort heureusement...
En fait, Robert Lepage a retravaillé sur une des branches, "il
l'a aussi étoffé pour les besoins du film, par exemple le coup de
fil à Montréal n'était pas sur scène". Le sujet du terrorisme
non plus d'ailleurs, même si le metteur en scène avait déjà envisagé
de l'introduire dans la pièce.
Cependant, même si Anne-Marie connaissait déjà la pièce -elle l'avait
jouée 200 fois au théâtre!-, elle a plutôt été surprise au départ.
"On a juste eu une conversation téléphonique, mais il n'avait
rien scénarisé, je lui ais juste dit : Faut voir", après tout
ce n'était qu'un coup de fil. Mais entre le moment où il m'a téléphoné
et le moment du tournage seulement deux mois se sont écoulés, "Ça
été très rapide!"
Tout le film a été tourné entre Montréal et Québec avec des scènes
reconstituées à la Caserne -bar karaoké, la pièce de Feydeau-, et
même si l'équipe de comédiens était la même "On avait pas beaucoup
de temps, de jeu, de marge d'erreur, je crois que le ton était à
trouver. Le corps était habitué au théâtre.". Par exemple la
scène du restaurant, tournée en une journée (!), a été très enflammée,
"j'ai du faire des prises très différentes, il fallait trouver
le ton juste rapidement." En 18 jours tout était dans la boîte
prêt à partir pour le montage!
"Nô est un film simple, spontané, il fallait le tourner vite.",
pourtant le tournage, malgré la bonne ambiance, a été éprouvant
pour Anne-Marie Cadieux, car en même temps elle cumulait avec le
théâtre ce qui lui donnait des journées de 12 heures parfois!
Finalement le film a fait l'ouverture du FFM 98, "j'ai trouvé
que c'était une très bonne idée, tout le monde sait que l'ouverture
est politique et ce n'est pas toujours le meilleur film", mais
il est vrai que Nô, tout comme Deux secondes, était
québécois, parlait de l'histoire de cette province d'un ton léger.
Certains lui reprochait son langage trop familier, mais "ça ne
nous empêche pas d'aller voir les Tarantino"! D'autres affirment
que le sujet est "trop québécois", Anne-Marie tape du poing sur
la table en rétorquant qu ce sujet peut parfaitement s'exporter,
"C'est comme si on disait qu'en Irlande on ne savait pas ce qui
s'y passait. On peut décoder une telle situation!". En effet
la pièce a été donné dans les plus belles capitales européennes,
"les gens savent très bien ce qui se passe au Québec".
Théâtre ou ciné?
Même si elle aime ses expériences sur les plateaux de tournage,
elle ne sacrifirait pas pour l'instant sa carrière au théâtre, "ça
m'a pris assez de temps pour m'établir au théâtre, c'est assez important
pour moi". Le rapport du public avec le théâtre est encore très
présent au Canada, un peu comme en Angleterre, "un acteur n'est
pas complet si il n'est pas monté sur les planches", contrairement
en France où de très grands acteurs font carrière sans background
théâtral. "Ça doit tout de même leur manquer, ils ne doivent
pas se sentir finis!"
En parlant de son jeu d'actrice cinématographique, Anne-Marie confie
: " C'est épouvantable, j'ai l'impression de tourner des films
que personne ne va aller voir. Je suis habituée à avoir du public,
comme il n'y a personne j'y vais décontractée. J'ai jamais le sentiment
que cela va sortir en salles..."
Pourtant elle émet un petit reproche au cinéma par rapport au théâtre.
En effet, ce dernier appartient aux acteurs, contrairement à un
film "il y a le montage derrière qui peut tout changer!"
Les événements des 70's
Son film abordant la vague de terrorisme qui avait touchée le Québec,
je prends le risque de lui demander si elle a quelques souvenirs
de cette période?
"J'étais très jeune, j'avais 8 ans. On a des souvenirs, les images
de la télé. C'était des mesures de guerre mais s'en était pas une."
Il est vrai que tout le monde n'est pas prêt à en rire aujourd'hui,
cependant Anne-Marie trouve cela plutôt flatteur de parler de l'histoire
du Québec. "On n'est pas complétement sorti de cette période",
ajoute l'actrice. D'après elle il existe toujours un malaise, il
suffit de regarder les résultats des referundums : "à 10 ans
d'écarts les résultats sont les mêmes!"
La création est brimée au Québec
Le gouvernement, dernièrement, a décidé d'allouer plus de crédits
aux entreprises culturelles et d'alléger les impôts des chaînes
télévisuelles qui investiraient dans le cinéma, le tout afin de
remonter le nombre de productions québécoises.
"Ça prend toujours de l'argent de faire du cinéma.
Je crois que c'est plus profond que ça. C'est la façon de donner,
comment on distribue l'argent. Je crois qu'il y a beaucoup trop
d'intervenants dans la création, d'ingérence." Anne-Marie sait
de quoi elle parle vu qu'elle aussi a écrit une pièce et rencontre
régulièrement, autour d'elle ce type de problème. Il y a sûrement
des créateurs talentueux, mais ils n'ont pas la chance de s'exprimer,
en effet pour bénéficier de ces subventions les scénarios présentés
doivent être "bétons, Wong Kar-Wai n'aurait pas de subvention
au Québec!". Citant un article récent de Libération, elle ajoutera
que la qualité doit prévaloir de la quantité, "Ici on ne donne
pas de liberté, c'est pourquoi Robert a choisi de faire son film
seul."
Le magnétophone s'arrête brusquement après 45 minutes de discussion,
mais nous n'y prêtons pas attention la conversation a déviée déjà
depuis un petit moment!
Nous sortons ensemble du café tout en continuant à parler, comme
si cela n'allait jamais finir... Mais la réalité me sépare de cette
comédienne hors du comun et débordant de générosité, et me voilà
de nouveau dans le tumulte de la rue St Denis!