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8e RENCONTRES CINEMATOGRAPHIQUES DE LA SEINE-SAINT-DENIS

Catherine Breillat

"ENGAGEMENT AMOUREUX" :
CATHERINE BREILLAT
(25/11/97)





Présentation de la soirée
Catherine Breillat est venue débattre avec le public lors de la projection de son dernier film "Parfait amour !" (1996) dans le cadre des 8e Rencontres Cinématographiques de Seine-Saint-Denis, le mardi 25 novembre 1997 à l’Espace Ciné d’Epinay-sur-Seine.

Ce film a surpris le maigre public qui s’est déplacé pour voir ce merveilleux long métrage inspiré d’une histoire vraie. La cinéaste est présentée par la directrice du cinéma.

Le débat commence par l’intervention de Catherine Breillat :

“De Carla est l’aîné et qui avait interviewé l’assassin qui avait commis un crime. Un crime semblable que je me suis inspirée parce qu’en particulier au début de l’émission, il commençait le générique du début, il y avait la reconstitution du crime, et cette reconstitution, elle avait été filmée en vrai par les gendarmes. Et donc ça m’avait beaucoup frappée, parce que c’est une chose qu’on lit tout le temps dans les journaux comme ça, qu’un crime va être reconstitué. On a l’impression que c’est quelque chose de mystérieux, et qui doit apporter des éclaircissements vers la vérité et la justice.

Et quand on voyait cette reconstitution filmée, d’abord on se rend compte que tout ce qui passe par le film, par la mise en scène, qu’en conséquence il y avait une jeune femme, comme ça, juge d’instruction qui était accrochée à ses procès verbaux et qui savait pas faire de la mise en scène, d’autant plus qu’elle avait une sorte d’horreur de cet assassin, et donc comme il comprenait pas le crime, la seule chose qu’il voulait, c’était des gestes qu’étaient absurdes, parce que ils étaient dénués de tout sens émotionnel. On avait l’impression que c’était pas une reconstitution pour connaître la vérité, mais une reconstitution pour bien se dire que ce garçon était un monstre, et que rien de tout ça ne pouvait ressembler à quelque chose qui pouvait toucher une personne normale ou un couple normal.

Catherine Breillat Et lui, pendant la reconstitution, il y a moment on lui donnait le tampon, comme ça (elle mime un geste avec les mains de haut vers le bas), c’était très frappant parce qu’effectivement il mettait la main sur sa tête (la victime) et tamponnait en regardant de l’autre côté. Il voulait absolument pas voir le geste qu’il faisait lui-même. Et je l’ai fait refaire à l’acteur, parce que c’était tellement incroyable, c’est pas une chose qu’on peut inventer donc on reproduit quand on a vu, on peut pas inventer ça à la mise en scène. Je m’étais dit que j’avais envie de commencer un film par cette reconstitution d’un geste qui me semble hors de toute mesure avec tout ce qu’on peut imaginer, et tout d’un coup de se dire que prendre le processus à l’inverse c’est-à-dire, que pour en arriver là il faut qu’il y ait une histoire d’amour avant. Cette histoire d’amour c’est évidemment une histoire passionnelle donc un moment dérape dans l’impossibilité de rester ensemble, et l’impossibilité de se quitter et que donc je voulais arriver à la scène finale ou c’était plus, je voulais pas que ça soit lui qui l’ai tuée, qu'il soit visiblement coupable.

Mais qu’elle-même plonge au coeur de son propre meurtre, et que les mêmes gestes dans une scène émotionnelle qui est une scène d’amour qui devient perverse et dévoiler comme une scène de rupture, en fait qu’on comprenne très bien qu’on nous accompagne pas à pas vers l’irréparable et tout d’un coup c’est plus un monstre, c’est quelqu’un qui fait quelque chose d’extrèmement malheureux. Voilà, j’avais envie de ça, de ce retournement parce que je crois que c’est assez juste. Je crois heureusement que l'on ne va pas jusque là, qu’on a tous connu une histoire d’amour qu’on a cru éternelle et dont on peut pas admettre qu’elle s’arrête et qui se termine comme ça, quand même très mal. Dans une grande violence avant un meurtre évidemment, mais quand même dans une grande violence.

Et que toute façon le sentiment amoureux, quand on admet que tout s’arrête, de toute façon faut bien qu’on tue l’idée qu’on a que l’amour est éternel. Autrement c’est une histoire nulle, ou bien c’est vrai qu’on a l’impression que comme on peut pas admettre que l’histoire se termine, comme on peut pas vivre avec l’autre, il y a un moment de toute façon dans une histoire qui se termine c’est qui tue l’autre. Donc, c’est vrai que toute la fin de l’histoire est vouée à lequel va anéantir l’autre, elle, elle l’anéanti en parole parce que je pense que les femmes sont bien plus fortes en parole, elles verbalisent beaucoup mieux, et que lui comme il peut pas lui répondre, qu’il est complètement anéanti, il peut lui répondre que par la violence."

Réaction d’une spectatrice au commentaire de la cinéaste : “ Je voudrais savoir si vous avez fait exprès que la femme soit médecin dans le film?”.

Réponse de Catherine Breillat : “ Non, parce que dans le vrai fait divers, elle avait un magasin , comme moi je recopie très strictement, j’ai d’abord fait le scénario où elle avait un magasin. Et puis ce scénario avait beaucoup traîné parce que tout le monde me disait que c’était impossible à tourner, et dans les gens qui m’aimaient bien quand même, des gens comme France 2 qui m’aimaient bien, mais qui m’avaient dit : “Dans tous les scénarios qu’on voit, les femmes ont des magasins.Il faudrait qu’elle est un métier décisionnaire”. Mais la productrice de l’époque n’est pas la productrice qui a produit ce film, qui était Véra Belmont à l’époque qui voulait le faire, qui prétendait qu’elle allait faire un film très commercial etc... et ce discours là ne marchait pas du tout, mais ces deux femmes, celle de France 2 et Véra, m’avaient dit : “ Voilà il faut que tu trouves un autre métier, il faut qu’elle soit décisionnaire, qu’elle soit dans une Mairie, par exemple, qu’elle ait des responsabilités.
Tous les gens, qui vous financent, veulent qu’il y ait un ancrage social.”

Une autre question est posée à la réalisatrice : “Le couple semble très charnel ?”.

Réponse de l’intéressée : “ Premièrement, je crois que ça arrive souvent. Deuxièment, je trouve pas qu’ils soient charnels, mais très amoureux ce qui est complètement différent. Et la première scène, c’est une scène très amoureuse mais pas charnelle, c’est quand même la première nuit d’amour, où il se racontaient tout. Quand ils font l’amour, ils ont l’air de deux bûches, franchement!”.

Un couple de retraités conteste la façon dont le couple fait l’amour dans le film.

Une autre question d’un monsieur : “ Votre film est assez osé?”.

Réponse de Catherine Breillat : “ Il est pas très osé quand même! Moi sur le plan des cadrages... des actrices que vous vénérez beaucoup, comme par exemple Romy Schneider, elle se déshabillait beaucoup plus que l’actrice Isabelle Renauld, que c’est la croix et la bannière. Les scènes induisent quelque chose qui effectivement, est assez osé. Le filmage de la scène lui-même, parce que vous ne regardez pas le cadre puisque que vous êtes pris dans l’idée qui se passe ça. Et vous savez pas ce que c’est sur le tournage, quand l’actrice a une serviette éponge rose bonbon qui va jusque-là (au niveau des pectoraux). On peut pas baisser d’un millimètre, et qu’en réalité, moi je sais qu’il faut rien du tout parce que je suis assez embêtée au niveau du cadre. En plus, on se demande si ça va passer alors ça me fait rire quand les gens me disent que c’est osé, je vous jure que non, ça l’est dans le sujet, mais pas du tout dans les images.”

Catherine BreillatL’animatrice de la soirée pose la question sur le choix des acteurs pour le film. Catherine Breillat répond :

“Presque toutes les actrices françaises ont lu le scénario, certaines ont eu vraiment envie de le faire, et au fur et à mesure que se rapprochait l’échéance où elles allaient tourner les scènes, bon... en fait elles craquaient et ne voulaient plus le faire. Donc, la dernière en date à craquer à quatre semaines du tournage, il fallait que je repousse un petit peu le tournage, et je les avais toutes essayées, il y en avait plus qu’une à qui je pouvais le proposer, donc on pouvait faire le film avec une inconnue.

Et je me suis dit que j’étais très en colère, et je me suis dit que je les déteste toutes en réalité. Du moins, que je ne les aimais pas assez. Mais, non c’est vrai, parce que quand même les seules actrices françaises que j’avais jamais trouvé bien, d’abord parce qu’elles sont belles, c’était Romy Schneider et Simone Signoret. Et puisque j’avais aucune des actrices qui font le haut de l’affiche, et j’en trouverai une qui sera comme Romy Schneider et Simone Signoret (rires), c’est-à-dire mon rêve et qui jouerai aussi bien, parce que c’est pas parce qu’on est belle, qu’on joue mal. Qui est belle, mais pas comme un mannequin.”

Après, la cinéaste explique qu’elle avait aimé diriger Isabelle Renauld qui avait joué un second rôle féminin dans le film “Opération corned beef” de Jean-Marie Poiré et Francis Renaud, acteur de théâtre. Je lui demande alors, le fait que le film étant tourné en ville, quel aurait été la fin si cela se passait en campagne? Elle me répond :

“Ah oui, mais ça je crois simplement, je pense que le fait, finalement j’étais très contente d’avoir réalisé ce film dans le nord, de l’avoir associé avec des blonds, avec quelque chose qui n’est pas du tout ce qu’on attend. Je pense que si l’actrice avait été une brune sensuelle et pulpeuse, le film aurait été plus facilement plus sordide, c’est comme ça” (rires). Elle ajoute :

“Je trouve que c’est très bien ce côté un peu slave de l’image des personnages”.

Puis, je pose à nouveau une question sur le fait que beaucoup de cinéastes vont souvent tourner dans le nord de la France, pourquoi elle aussi a t-elle été attirée?

Elle répond : “ La luminosité est très belle, parce que la lumière de la plage, c’était une lumière blanche et coupante, c’est la lumière des pays froids quand il fait soleil, c’est une lumière qui est magnifique. Et qui je trouve va bien avec l’histoire, parce que à la fois cette espèce d’immense plan de plage toute blanche et dans des couleurs très dégradées. Elle est romantique si on veut, mais elle est froide, cruelle et austère la lumière est incroyablement douce parce que les couleurs sont douces, mais il y a une brutalité incroyable. Moi, je trouve ça très beau. Puis, on est très bien accueilli dans le nord pour tourner, parce que quand même les gens ont beaucoup plus tourné dans le film. Alors que dans le sud, comme certains cinéastes sont très mal élevés et laissent de très mauvais souvenirs après eux, on est très mal accueilli dans les villes du sud de la France”.

Les spectateurs qui sont restés pour le débat applaudissent la réalisatrice apparamment contente d’avoir participé à cette discussion.


Texte et photo : Bertrand Amice.

© 1998 Ecran Noir / Christophe Train.