Production : Paramount Pictures, Clinica Estetico, Scott Rudin, Tina Sinatra
Distribution : UIP
Réalisation : Jonathan Demme
Scénario : Daniel Pyne, Dean Georgaris, d'après le livre de Roichard Condon
Montage : Carol littleton, Craig McKay
Photo : Tak Fujimoto
Décors : Kristi Zea
Musique : Rachel Portman, Wycleaf Jean
Costumes : Albert Wolsky
Durée : 130 mn
Casting :
Denzel Washington :Ben Marco
Meryl Streep :Eleanor Prentiss Shaw
Liev Schreiber : Raymond Shaw
Jon Voight : Sénateur Thomas Jordan
Kimberly Elise : Rosie
Jeffrey Wright : Al Melvin
Ted Levine : Col. Howard
Bruno Ganz : Richard Delp
Simon McBurney : Dr Atticus Noyle
The Manchurian Candidate / Un crime dans la tête
USA / 2004 / Sortie France le 3 novembre 2004
Il faut choisir un Vice Président à quelques mois de l'élection présidentielle américaine. Sous l'influence et grâce aux calculs de Eleanor Shaw, c'est son fils Raymond, élu de l'Etat de New York qui obtient l'investiture.
Shaw est jeune, ambitieux, célibataire et riche. Un parti idéal. Il a aussi l'immense mérite d'avoir reçu la Médaille d'Honneur du Congrès après la première guerre du Golfe.
Mais depuis ce temps là, le major Ben Marco, son chef à l'époque, fait d'étranges cauchemars. Et ceux qui ont réchappé à l'attaque de la patrouille dont Shaw les aurait sortis à lui seul, ont quelques doutes inconscients sur ce qui s'est réellement passé.
Marco va tenter de faire la lumière pour vérifier qu'il n'est pas fou. Mais la vérité est pire que le cauchemar. Au bout du tunnel : le meurtre du futyur Président des USA, plannifié depuis une décennie.
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Le film de Jonathan Demme est le remake d'un grand classique du film noir, réalisé alors par John Frankenheimer en 1962, avec Sinatra dans l'un des rôles principaux, et Janet Leigh et Angela Lansbury en seconds couteaux. The Manchurian Candidate est avant tout un livre de Richard Condon (L'Honneur des Prizzi), ancien publiciste des premiers Disney. La première version avait marqué les esprits par son aspect prémonitoire mais aussi parce qu'il introduisait les arts martiaux et l'inceste dans le cinéma hollywoodien.
Le second est plus sage en terme d'action et de perversion. Il est tout aussi étoilé.
Alors que Denzel Washington a eu quelques difficultés post-Oscars pour finaliser certains deals (notamment un film de Fuqua finalement annulé), l'acteur, qu'on vient de voir dans Man on fire, peu convaincant, il reprend ici un de ses rôles qui a fait sa popularité (L'affaire Pélican). C'est aussi les retrouvailles avec Jonathan Demme, 11 ans après Philadelphia. Demme, quant à lui, ancien Oscarisé pour son excellent Silence des Agneaux, sort d'une série de flops monumentaux : Beloved, The Truth about Charlie, The Agronomist...
Sans être un grand carton, le film n'a pas été une honte publique (65 millions de $ de recettes aux US). Cela a permis aux spectateurs de découvrir sous un autre jour Liev Schreiber (Scream). Et de revoir la grande Meryl Streep, pour la première fois en méchante, s'inspirant peut-être de Margaret Thatcher peut-être d'Hillary Clinton.
Le film a démarré sa carrière européenne au Festival de Venise. Demme a clairement avoué son rouble concernant son pays : "je pense que nos dirigeants nous ont mis dans une très mauvaise direction, à de nombreux niveaux. Je pense qu'ils veulent posséder le monde pour deux raisons. Un, il y a des profits infinis à posséder le monde entier. Deux, si vous posséder et contrôler le monde, vous pouvez déclencher la peur."
Le film sort en france au moment où le nom du nouveau Président des Etats Unis sera connu...
Et l'ancien film que vaut-il? (disponible en DVD)
LA REUSSITE DU SOLITAIRE
"- Je ne pense pas qu'il soit bouddhiste. Il sourit tout le temps."
Le film a des allures terrifiantes. Prémonitoire, il soulevait la thèse d'un complot (ici communiste) sur un candidat à la Présidence des Etats Unis, un an avant l'assassinat de Kennedy. Sous son aspect de film noir, hitchcockien même (la présence mystérieuse de Janet Leigh accentue cette filiation, notamment avec la scène du train, superbe), Frankenheimer insère quelques ingrédients novateurs : combat d'arts martiaux entre Sinatra et Silva, importance des médias et émergence des shows politiques, danger de la propagande (quelque soit le camp), et surtout le jeu très moderne d'Angela Lansbury, qui joue même avec sa joue! Cette mère incestueuse est l'une des plus belles méchantes de l'histoire d'Hollywood, pas loin de Bette Davis. The Manchurian Candidate, à cause de quelques trous dans le scénario sur la fin au profit d'un rythme de plus en plus serré, ne cherche pas à prouver la crédibilité de son propos : il souhaite piéger le spectateur dans ce cul-de-sac tragique où la victoire a un goût amer. Celle du sacrifice. Car là encore le film anticipe ce qui fera le fondement d'une certaine doctrine, celle des Républicains notamment, en exacerbant les valeurs néfastes que sont la peur, le mensonge, la politique de la terreur...
Bizarrement construit autour de plusieurs personnages, le film est remarquablement mis en scène, ne se préoccupant que du suspens et du dénouement final. L'enquête et les symboles utilisés sont très "marqués" par l'époque et peut rappeler The Avengers (Chapeau melon et bottes de cuir) né l'année précédente, avec ce surréalisme basique où se mixent hypnose, jeu de carte, élite déliquescente, et complot à un haut niveau. L'intrigue a des similitudes frappantes avec la série TV.
Mais Frankenheimer charge la barque pour mieux souligner les effets néfastes de la guerre sur les soldats (incapables de refaire leur vie), l'impact dangereux de certaines manigances cyniques électorales (un drapeau américain en caviar polonais se fait copieusement bouffé), ou les relations ambivalentes entre l'armée, le pouvoir et certains lobbys. Grâce à la force de l'inconscient, à une certaine morale, l'Amérique sera sauve, mais à quel prix.
Avec peu d'effets, le cinéaste nous enferme dans un piège infernal, une psychose où l'amour a du mal à trouver sa place, et où la peur reste glacée. En quelques plans, des champs contre champs la plupart du temps, le cinéaste pointe son arme sur nous, et massacre notre innocence. Notre beau sourire ou notre esprit salvateur. Le sang ne coule jamais, mais le lait des années 50, immaculé, se déverse. L'Amérique que nous connaissons est née. Il y a un coup d'état derrière tout cela. Oliver Stone, Michael Moore, ou encore Sydney Pollack ne diront pas autre chose.
ELECTION, PIEGE A CON
"- Aide-moi ou tue moi, mais faits un choix!"
La première réaction à ce thriller plutôt bien ficelé est de vouloir mater la version originale. Certes la technologie a évolué (perdant sa poésie surréaliste), les médias sont plus présents, mais l'intrigue finalement n'a pas beaucoup bougé. De la Corée à l'Irak, les guerres ont toutes leur syndrome. Des anticommunistes aux ultracapitalistes, les prétextes sont toujours idéologiques. L'Amérique n'a pas changé. Le remake a quelques différences avec le film d'origine. Mais Jonathan Demme parvient à mêler une bonne dose de divertissement à un propos cinglant sur la mécanique électorale américaine. Le réalisateur reprend un peu de poil de la bête après quelques échecs.
Si le film se perd un peu dans son dédale de déviations, le cinéaste parvient à réaliser un début tendu et une fin sous haute tension. En jouant sur la folie et la manipulation de la mémoire (parano aiguë à Hollywood ces derniers temps), The Manchurian Candidate ne se distingue pas des productions actuelles. C'est bien dans son propos politique, en situant son suspens dans le cadre d'une campagne électorale, qu'il se singularise. Cependant, en se confrontant ainsi à l'actualité, la fable prémonitoire du Frankenheimer se transforme avec Demme en simple divertissement "intelligent", qui prend ses racines dans Les Rois du Désert et finit comme The Bodyguard.
Car le malaise proviendra de la maladresse politique - un comble - du script. A trop vouloir "neutraliser" politiquement le propos (la stratégie électorale semble celle du parti démocrate tandis que les valeurs véhiculées et les relations avec l'industrie sont plus proches des républicains), le flou est accentué et noie le spectateur dans un involontaire "tous pourris". Alors que Frankeinheimer extrapolait l'évolution d'un système à partir des décisions d'Eisenhower, Demme ancre son propos dans une réalité (la manipulation du pouvoir politique par les conglomérats) vieille de 35 ans et qui n'a rien d'innovant, puisque actée, acceptée, assumée. Le film aurait mérité à aller plus franco dans la critique ou la dénonciaition; soit il fallait en faire un simple amcguffin, soit il fallait aller plus loin dans la crédibilité. Mais, hélas, les documentaires sont aujourd'hui plus pertinents pour décrire les coulisses du pouvoir. Et le cinéma, avec sa dose de factice (la nanotechnologie a un côté kitsch et science fiction), ajoute à une confusion des genres qui n'est pas forcément saine.
Ce déséquilibre permanent entre réalité et show, entre message et image, nuit légèrement à l'ensemble. D'autant que la théorie du complot est un peu usée... Demme est plus inspiré quand Washington ôte la puce de Schreiber, comme on enlève une virginité : morsure, pose suggestive, lutte, hurlement d'un viol... Car le film est séduisant. On ne peut pas s'empêcher de penser à Halliburton, Monsanto, Carlyle et cie quand on voit les dirigeants de Manchurian. Et cette métaphore de la manipulation de l'opinion est forcément passionnante en ces temps de haute propagande. A l'image de ce pantin dont on perce le crâne, allégorie violente qui n'a rien à envier à ces marionnettes qu'ont dit manipulées par les lobbies.Tous les codes du film noir sont respectés, avec, en premier lieu, cet innocent persécuté et soupçonné. Demme flirte avec Freud et Hitchcock, avec l'inceste et l'espion infiltrée. La mort aux trousses n'est pas loin. Et le réalisateur sait mettre en scène tout ce mouvement vers une fin amère. Les acteurs apportent une belle crédibilité : Washington, dans un personnage à la Costner, est éminemment trouble. Schreiber nous émeut avec sa candeur et sa fatigue. Et Streep, en mère de toutes les guerres, dévore tout ce qui passe et méritera ce qui lui arrive : on ne joue pas avec la démocratie, Madame. Dans cette version dramatique et politique des Liaisons Dangereuses, on se dit que le citoyen est de plus en plus absent. Pour une fois le spectateur, lui, n'est pas trop pris pour un con.