Libération
le 10 Décembre 97
HAPPY TOGETHER
(Cheun Gwong Tsa Sit)
flag

23 juin 1997

Les Acteurs
Cheung et Leung, deux stars dans un bateau
Les deux acteurs ont cohabité plus ou moins bien. Rencontres croisées.

Ensemble dans le film mais séparés pour leur interview respective, Leslie Cheung et Tony Leung ont l'ego pas facile, à la mesure de leur statut de superstar du cinéma de Hong-kong.
Leur portrait in situ fut donc forcement croisé. Et Leslie Cheung, moulé dans un pull-over à col roulé vert pomme, de démarrer en effet par une griffe sur Tony Leung «ça a été dur pour Tony. Son rôle était difficile, beaucoup plus introverti. Mon personnage était plus comme un papillon, un papillon explosif».
Et de sourire en se rappelant, «Wong Kar-wai nous a trompés avec une fausse histoire. Ça a été fou quand on a découvert qu'il fallait tourner cette scène de sexe entre hommes. C'est très olé olé pour les habitudes sexuelles orientales. Je n'oserais jamais regarder le film sur grand écran, je l'ai juste vu sur cassette.»
Et soudain, les sourcils froncés, traversés par une ombre d'inquiétude tardive: «Mais on n'était pas totalement nus. Ce sont les vibrations qui comptent.» Exaspéré par l'image traditionnelle des homosexuels dans le cinéma du territoire, Leslie Cheung a été séduit par l'approche de Wong Kar-wai. «Happy est une histoire d'amour tout simplement. Dans les années passées, les réalisateurs qui abordaient le thème gay à Hong-kong essayaient toujours de les faire passer pour des clowns, très pouponnés, mais Wong l'a fait de manière plus réaliste. Ce qui m'a convaincu de faire le film, c'est qu'il voulait une histoire d'amour universelle.»
«Et surtout qu'il voulait aussi les deux plus beaux gars de Hong-kong!», ajoute-t-il en explosant de rire. Pour Leslie, comme d'ailleurs pour toute l'équipe, le tournage n'a pas été une partie de plaisir. Coincé entre la promotion d'une tournée de cantopop, (ces mélopées sirupeuses qui font fureur à Hong-kong et dans le sud de la Chine), les fuseaux horaires et une mauvaise maladie, Leslie a perdu plus de 5 kilos. Les acteurs se sont ensuite retrouvés flanqués de gardes du corps. «Toutes les boîtes de production locales sont connectées à la mafia. On avait reçu des menaces. On a tout vu au Tres Amigos, le bar du quartier de la Boca à Buenos Aires où ont été tournées certaines scènes.»

Après quelques années à la télé à la fin des années 70, c'est surtout Histoires de fantômes chinois (1987, Tsui Hark) qui a fait éclore sa carrière hongkongaise. La dimension internationale est venue ensuite avec deux films précédents de Wong Kar-wai (Nos Années sauvages, les Cendres du temps) et surtout Adieu ma concubine de Chen Kage. Mais la pensée d'une carrière hollywoodienne lui donne des frissons d'horreur: «Je suis un peu le Tom Cruise de l'Asie. J'ai tous les rôles que je veux. Donnez-moi 1000 raisons d'aller à Hollywood! Ils adorent ruiner les acteurs pour le reste du monde.»
Ce qui l'a sans doute incité à réaliser son propre film dès l'année prochaine. «Petit budget, mais superstar: moi.»

Leung le tourmenté. Cette envie d'être son propre maître n'est par contre pas du tout dans les projets de Tony Leung, rencontré quelques jours plus tard, sur le tournage d'un polar: «J'aime jouer dans ces histoires de gangsters. Je m'amuse...», lance l'acteur avec un sourire qu'on ne lui connaît pas souvent à l'écran. Car Tony Leung est plutôt l'homme des rôles tourmentés, des lippes sombres à la cigarette négligée. Celle qu'il arbore avec nonchalance dans Happy Together, comme un défi silencieux à son amant incarné par Leslie Cheung.
Dans l'histoire de cette relation gay, Tony est celui qui souffre en silence. Et il confirme qu'il a eu beaucoup de mal à digérer que la première scène soit une scène de cul avec un homme. «Je suis resté trois jours dans mon coin sans pouvoir regarder le play-back après avoir joué cette scène d'amour, je me suis senti acculé. C'était trop soudain. Je ne pouvais plus réfléchir. Ce n'est pas une question d'image mais avant je ne comprenais pas les homosexuels. Ils étaient différents pour moi. En fait, je crois que j'avais peur de le devenir moi-même en jouant ce genre de rôle. Car je m'implique beaucoup émotionnellement dans mes personnages. Mais comme d'habitude j'ai fait confiance à Kar-wai et ça a marché.»

Tony Leung est devenu l'incontournable des films de Wong Kar-wai.
Ils ont déjà tourné Nos Années sauvages, les Cendres du temps et Chungking Express, et se retrouveront bientôt pour Un été pékinois. Peu habituel pour une star hongkongaise, Tony Leung prend son temps et reste fidèle à quelques grands noms: Hou Hsiao-hsien (City of Sadness), Tran Anh Hung (Cyclo), Wong Kar-wai, mais ne dédaigne pas faire le coup de feu dans des cavalcades plus commerciales (Hard Boiled), ou même chanter.
Il se prépare à jouer dans le prochain film de Hou Hsiao-hsien. Mais Wong Kar-wai reste pour lui un cas particulier: «En général, je préfère préparer mes rôles. Avec Kar-wai c'est impossible. On ne sait jamais ce qu'il a dans la tête. C'est excitant. Comme une aventure, un rêve.» Le rêve, ça l'a pris très tôt. A l'époque où, vendant encore des frigos, il écoutait son meilleur copain, un acteur, rêver de devenir une star. «A force de l'écouter rêver, j'ai décidé de m'inscrire dans une école d'acteur.»
Après six mois comme présentateur de programme pour enfants, les films se sont succédé. Non sans expériences éprouvantes. «Quand je jouais encore pour la télé, il m'arrivait souvent de rentrer à la maison en disant à ma mère que je ne savais plus qui j'étais. Je faisais une confusion totale entre le personnage et la vie réelle. J'ai eu un passage difficile pendant Nos Années sauvages. J'étais devenu paresseux dans mon jeu. Je pleurais tous les jours en m'en rendant compte.» Un passage à vide désormais oublié.

le film - critique, cinéaste

Sommaire Ecran Noir * Stars * Films * Opinions!

Courrier

© Volute productions 96-99