ecran noir

la fille sur le pont de patrice leconte

MERCI LA VIE

" - Vous attendez quoi Adèle?
- Qu’il m’arrive quelque chose.
"

L’amour naît d’un désir qui doit amener le bonheur comme atténuer les malheurs passés. Pour un beau film d’amour, il faut donc faire éclore une sorte d’espoir.
Leconte l’a fait.
En noir et blanc. Avec des musiques jazzy, arabisantes, et un peu de blues, on se sentirait presque dans un Woody Allen, tantôt farce rythmée, tantôt tensions plaintives.
Mais sous le vernis, techniquement sans faille, esthétiquement parfait, il y a les dialogues, le scénario. Les répliques vaches ou drôles, non dénuées d’esprit. Les situations surréalistes (dialogues par télépathie, métaphores géographiques avec l’une à Athènes, l’autre en Turquie), les mélanges de genre (de la parodie au drame), et le sujet même en feraient un film de Blier.
Ces deux univers qui se juxtaposent trouvent leur harmonie - ici seuls les sentiments font chaos - grâce à un troisième genre: la poésie.
Depuis Tandem, on connaît l’affection que Leconte porte pour les duos, les non dits, les regards équivoques. La fille sur le pont est assez proche de Monsieur Hire dans sa tension, et son voyeurisme. Mais la partition sonne plus comme un air de Mari de la Coiffeuse (jusque dans une scène chez le coiffeur).

Ici il plonge un couple improbable de désespérés, dans un fleuve, dans une Odyssée, sur la Méditerranée, et jusqu’au bout du monde, à Istanbul.
Un lanceur de couteaux et sa cible, une rescapée qui n’a plus rien à perdre. De là émergeront une fusion de plaisirs et de peurs, un amour silencieux et sous jascent, et surtout une chance inespérée. Au delà des passions illusoires, des numéros de cirque ratés et des mauvais numéros au lit, le lanceur et sa cible, la lame et la chair, il y a cette réussite qui résulte de leur chimie. Ils gagnent au casino, à la tombola, ne loupent aucun spectacle, même impossible. Le grand amour, le vrai, c’est quand tout nous sourit, quand tout prend un sens.

La fille sur le pont est une histoire romanesque un peu folle, très belle, qui culmine avec une séance, plus que superbe, sado-érotique où les deux acteurs s’offrent une séance de couteaux pour le plaisir.
Filmée avec énergie, caméra à l’épaule, l’oeuvre n’oublie jamais sa destination, son émotion, et finalement ses dangers. Le premier d’entre eux serait un couteau qui transperce la cible. A chaque numéro, le suspens paraît insoutenable.

En une heure trente, un film court donc, Leconte fait le tour de la relation, de ses obstacles, de ses enjeux, de ses défauts.
Auteuil, funambule, a le regard perçant, la main tranchante, le sourire juste. Une fois de plus, l’acteur nous livre un numéro impeccable.
Mais la caméra de Leconte ne fait que sublimer sa partenaire. Paradis y est belle. La Pretty Woman (à Monaco ou sur un piano) a étendu son registre et son jeu, avec des scènes-cadeaux. La star s’offre même l’ouverture du film, 5 bonnes minutes de quasi-monologue, passant de la frivolité à la détresse la plus totale, qui la conduira sur le pont.

Comme une déclaration d’amour. Sans doute frustré par le poids de Delon et Belmondo dans Une Chance sur 2, Leconte a voulu peut être lui donner une histoire où elle avait toute sa place.
La couleur du film y contribuant, on y verrait presqu’un hommage à ces actrices blondes américaines des années 30-40.
Le film, en muet, donnerait d’ailleurs la même intensité. Pour un peu on se serait cru au paradis tellement la fin est belle.

VinCy Thomas, Paris, 12 mars 99

  • Ponts sur la Toile


  • (C) Écran Noir 1996-1999