C'est un euphémisme de dire que le dernier Besson était attendu, précédé comme toujours des plus folles rumeurs. Heureusement pour nous, c'est une fantastique reconstitution historique qu'il nous livre, limide à comprendre (dans ses arcanes politico-religieuses) contrairement à La Reine Margot de Chéreau.
Ce qui importe c'est la vision de Besson de ce personnage, et de son époque. On y retrouve une thématique qui lui est propre : la gamine de Léon avec son épée, une Nikita du pouvoir, le combat vengeur et solitaire du héros ou encore cette passion, cette foi plus fort que la vie.

Flash back
Nous ne pouvons faire autrement que de nous retrouver transporté en 1420, en ces temps de barbarie et de guerre, de pauvreté insalubre et d'église surpuissante. Comment imaginer qu'une « faible » femme, paysanne et illétrée de surcroît, ait réussi à sauver une partie d'une France occupée par les anglais, sans roi pour l'unifier?
Au début du film, pourtant, on ne peut retenir quelque inquiètude: on se croirait devant le générique de la série « La Petite Maison dans la Prairie », plutôt qu'en plein Moyen-Age. C'est d'ailleurs la principale faiblesse du film : son imagerie déjà vue. Le comble pour un Besson. Jeanne enfant, gambade, insouciante, parmi les champs de fleurs. Et puis très vite, tout revient à la réalité: les Anglais ravagent le village de Domrémy, et l'intrigue (comme le mystère) s'installe. La scène de viol est pathétiquement réussie. Et les vois tiennent plus de l'aspect visuel que de l'astuce sonore. Naïve, exaltée, passionnée, stratège, pieuse, Jeanne est une enfant traumatisée, cherchant sa voie, en entendant des voix. Des signes et des symboles qui la guident au nom de Dieu, quelque part entre l'intégrisme et la folie mystique. Bref, tout sauf une Sainte.
Loin d'être une sorcière ou une hérétique, les visions de Jeanne seraient en fait motivées en partie par son désir de vengeance. Reste à expliquer ses voix, ses pressentiments, ses stratégies élaborées menant tout droit à la victoire? Et son charisme, sa notoriété, son intuition...
Y a-t'il une présence divine s'adressant à elle, ainsi qu'elle se plaît à le répéter (pour mieux se convaincre)? Besson, et c'est là un des points forts du film, laisse au spectateur le soin de juger par lui-même, même s'il nous (dé)montre cette irrationnalité (façon film hollywoodien aux frontières du surnaturel). Ne sont-elles que l'oeuvre de son imagination pétrie de mysticisme ou existent-elles réellement?

Un destin tout tracé...
On ne peut rester indifférent au destin de Jeanne dîte la pucelle. Folle ou possédée, émouvante ou insignifiante, surfaîte ou symbole essentiel d'une France en mal d'identification, Jeanne, désormais récupérée par les nationalistes, était un martyr, une égérie, mais quoiqu'il arrive, une héroïne trop gênante pour le pouvoir. Milla Jovovitch incarne avec charme cette beauté, laissant transfigurée quelques magnifiques moments de rage et de doutes. A 19 ans, elle avait libéré Orléans, contribué au couronnement de Charles VII en la cathédrale de Reims, et mourait brûlée vive après un procès de mascarade, trahie par son Roi et sa patrie. Un destin fulgurent. Idolatrée par le peuple, instrument manipulée par le pouvoir, Jeanne, selon Besson, est une jeune fille qui ne mesurait pas les conséquences de ses actes et prétextait être l'envoyée de Dieu pour livrer bataille. "Tu ne tueras point", tel est pourtant le motto de départ du cinéaste qui nous offre justement une vision intéressante et vraie de la nature humaine; l'homme a peur de ce qu'il ne peut expliquer, ou ce qu'il ignore, l'homme fuit, tue, par bêtise le plus souvent. L'être humain serait-il lâche par nature? C'est ce que ce film tend à vouloir nous faire croire. La sauvagerie des batailles n'a rien de comparable à celles de Spielberg et Mellick, mais sont suffisamment explicites pour être sanglantes.
Luc Besson ne s'attarde pas à expliquer le mystère, la légende de Jeanne. Désacralisée, mais glorifiée, il parsème de signes son oeuvre et nous laisse entrevoir dès le début ce qu'il adviendra de Jeanne. Il juge plus son époque, remarquablement reconstituée, que son personnage. A la fois victime et consciente, elle s'offre une confession virtuelle avec sa conscience (Dustin Hoffman) qui lui permet de se faire justice elle-même. Et de la rendre plus humaine, moins mythique.

Des failles dans l'armure...
On oubliera la musique de Serra (honteusement plagiée sur des oeuvres plus connues), un casting royal mal utilisé voire anecdotique, une Orléans un peu toc, un Dieu trop Jésus...
Mais on se souviendra de quelques seconds-rôles bien joués, d'un montage impeccable, d'un réalisme bien vu, de batailles inspirées.
C'est surtout le scénario, limpide, fluide, efficace, qui met cette oeuvre au dessus des opus précédents de Besson. Moins caricatural, plus fouillé, Jeanne d'Arc, écrit par Andrew Birkin, tient la route du début à la fin, sans ennuyer le spectateur.
Les détracteurs du réalisateur se taieront le temps d'un film. Un film historique classique, une oeuvre de Besson de bonne facture. Moins académique que la plupart des films français du même genre, plus subtil que les productions hollywoodiennes en costume, ce Messenger est plus proche de la version de Dreyer que celles de Rivette, Preminger ou Bresson. Il manque toujours à Jeanne un film qui explique sa profondeur, l'invisible, la foi (ou la folie) qui la conduisit à sa propre perte...
Le principal est peut être de redécouvrir cette époque, cette Guerre de 100 ans, si mal apprises, si loin de nous et pourtant si présente. Comment une jeune fille a-t'elle pu transformer l'histoire...?!

- Delphine