Une
carrière cinématographique commencée
en 1932 avec Oscar, champion de tennis, court-métrage
dont Tati a écrit le scénario, qu'il
interprète, mais dont la mise en images a été
confiée à Jack Forrester. L'année
précédente, Jacques Tati, né
Tatischeff, a débuté sur les planches
avec un spectacle de pantomimes sportives. Car le
sport, en particulier le rugby, est son loisir favori
depuis l'adolescence ; dans les vestiaires, après
les matches, il en mimait devant ses coéquipiers
pliés de rire, les diverses phases de jeu,
les interventions de l'arbitre, les réactions
du public.
Dans les années 30, il trouve l'occasion
de reprendre, devant la caméra, quelques-unes
de ses pantomimes : sur le tennis dans l'Oscar
déjà cité, la lutte dans On
demande une brute de Charles Barrois (1934), ou
la boxe dans Soigne ton gauche de René
Clément (1936), le plus connu des courts-métrages
- il y en a eu cinq avec Gai dimanche de Jacques
Berr (1935) et Retour à la terre, le
premier signé Tati en 1938 - qu'il interpréta
avant la guerre. Mais l'essentiel, en ce début
de carrière, demeure le music-hall où
Tati s'est taillé une solide réputation.
Avec son numéro, 'Impressions sportives", il
a fait le tour des scénes françaises
et européennes ; il fallait le présenter
au Radio City Music Hall de New York lorsqu'en septembre
1939, il doit revêtir l'uniforme...
"De Gaulle, facteur..."
Après
la guerre, Tati apparaît dans
Sylvie et le
fantôme (1945) - il est le fantôme -
et dans
Le Diable au corps (1947) d'Autant-Lara.
Il investit ses cachets dans
L'Ecole des facteurs
(1947), ultime brouillon du film auquel il pense depuis
son
Retour à la terre où sévissait
déjà un impayable facteur rural. Ce film,
c'est
Jour de fête que Tati réalise
et interprète en 1949 et que les distributeurs,
maîtres de la sortie en salles, ne trouveront
pas drôle... Heureusement, une projection surprise,
à Neuilly, connaît un triomphe grâce
auquel
Jour de fête peut enfin rencontrer
un immense public, surpris et ravi de rire autant.
"C'est
alors que j'ai eu l'idée de présenter
M. Hulot, personnage d'une indépendance complète,
d'un désintéressement absolu et dont
l'étourderie, qui est son principal défaut,
en fait, à notre époque fonctionnelle,
un inadapté". Avec son "visage à la
Prévert sur le corps de De Gaulle" (Michèle
Manceaux), M. Hulot, alias Jacques Tati, va promener
sa silouhette dégingandée sur la plage
des Vacances de M. Hulot (1953) ; arbitrer
dans Mon oncle (1953) l'éternel conflit
de l'ancien et du nouveau ; plonger avec le courage
de l'inconscience dans l'univers cybernétique
de Playtime (1968) et affronter dans Trafic
(1970) l'hydre automobile aux cent gueules de chauffards.
Le temps et l'argent.
Tati avait coutume de dire aux apprentis cinéastes
: "Le cinéma, c'est un stylo, du papier et des
heures à observer le monde et les gens". Pour
écrire ses films, du premier au dernier gag et
en prévoir tous les rouages ; pour imaginer,
sur la bande-son, le moindre bruit, sa modulation, son
intensité, son rythme ; pour faire exister, avec
un visage, des vêtements, une silouhette et des
signes particuliers, le plus humble des personnages,
à peine entrevu sur l'écran, Tati avait
besoin de temps et le prenait. Quatre ans entre
Jour
de fête et
Les Vacances..., cinq entre
Les Vacances... et
Mon oncle, dix entre
Mon oncle et
Playtime.
Il
avait aussi besoin d'argent : il engloutit des millions
dans l'édification du gigantesque décor
futuriste de Playtime. Le tournage s'y prolongea
des mois ; le légendaire perfectionnisme du
cinéaste ne fut pas responsable de tous les
retards, car il fallut souvent attendre l'arrivée
d'argent frais ! Et lorsque apparurent enfin sur l'écran
géant de l'Empire ces images bourrées
de gags dans leurs moindres recoins, certains crièrent
à la démesure, à la mégalomanie...
Vaincu par l'incompréhension d'une critique
pressée et par les mises en demeure de ses
créanciers, Tati dut tailler dans le vif, couper
des séquences entières. Rien n'y fit,
car le public n'était plus au rendez-vous.
Déjà gorgé de télévision
et bombardé d'images choc montées au
pas de charge, il avait perdu cette patience qui lui
avait permis, dix ans auparavant, de s'introduire
en douceur dans le monde nonchalant de M. Hulot.
Confronté
à l'échec de son entreprise prométhéenne,
Tati trouva quelque réconfort dans les louanges
prodiguées par certains confrères, en
particulier celles de François
Truffaut qui lui écrivit : "C'est un film
qui vient d'une autre planète où l'on
tourne les films différemment. Playtime,
c'est peut-être l'Europe de 1968 filmée
par le premier cinéaste martien, "leur" Louis
Lumière ! Alors il voit ce que l'on ne voit
plus et il entend ce que l'on n'entend plus et filme
autrement que nous".
Ses ailes de géant...
Après
Trafic qui ne lui permis pas de renouer avec
le succès ni d'éponger ses dettes, Tati
se voit offrir, par la télévision suédoise,
l'opportunité de réaliser un film avec
les moyens tehniques et financiers des productions télévisuelles.
C'est
Parade (1974) où Tati revient au
cirque et au music-hall de ses débuts. En bon
M. Loyal, il présente une succession d'attractions
entre lesquelles il reprend ses pantomimes d'autrefois
: le footballeur, le pêcheur à la ligne,
le tennisman, la cavalier... Ce sera son dernier film.
Après Playtime, cette oeuvre titanesque,
aura eu raison de celui qui avait cru possible de
faire tenir le monde dans un écran, d'y faire
entrer à sa suite des millions de spectateurs
et de y les laisser retrouver leur chemin, armés
d'intelligence, de sensibilité et de la certitude
qu'au terme du voyage, un éclat de rire les
délivrerait de l'angoisse.
Chris - Février 1998