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JUIN/SEPTEMBRE 2002
Le monde selon Tati
La Ville en Tatirama
Expo du 28 juin au 29 septembre
IFA, 6 bis rue de Tournon 75006 Paris
La Villa Arpel dans Mon Oncle, selon Lagrange
L'exposition peut paraître insolite : un cinéaste au sein d'un temple de
l'Architecture. Pourtant elle est bien sous titrée : "Les Trente Glorieuses
à travers l'objectif de Jacques Tati".
Et en effet, Tati, et pas seulement avec Playtime, s'est toujours intéressé
à l'espace naturel comme l'environnement urbain. Du village post-1945 de
Jour de fête à la ville verticale et bétonnée (50 000 mètres cube pour être
exact) , le cinéma de Jacques Tati, à la manière d'un Tex Avery,
caricaturait les atmosphères : carte postale de vacances, maison
ultra-moderne de banlieue, mégapole déshumanisée... "La richesse et
l'originalité du propos du cinéaste viennent essentiellement de ses qualités
d'observation, toujours en prise avec les évolutions les plus récentes de la
société" (Fiona Meadows & Lionel Engrand). Une société de loisirs par
ailleurs.
Ses 6 films majeurs couvrent les Trente Glorieuses, période économique de
forte croissance après la seconde guerre mondiale, jusqu'au krach pétrolier
des années 70. Cette prospérité amène le progrès qui s'insinue partout. Dans
Mon Oncle, Tati s'intéresse à la modernité domestique, aux nouvelles
attitudes et à la fonctionnalité des tâches. Les gens aspirent à en rien
faire tout en industrialisant leur quotidien. On est loin du village
franchouillard du facteur Tati. Tout est centré sur le loisirs. Les Vacances
de Monsieur Hulot ce sont les congés payés, les temps libres et finalement
les stations balnéaires qui sont scrutés.Ce tourisme on le retrouve en masse
et économique dans PlayTime, qui clone ainsi les maisons de Mon Oncle en
cases empilées au milieu de la ville. Trafic accentue cette critique de la
société de l'information, tout en s'interrogeant sur les impacts de
l'environnement : autoroutes, carrefours... La voiture est omniprésente,
comme les avions ou le vélo. Chaque film apporte sa vision et ses
conséquences des nouveautés. Trafic détruit Jour de fête, comme PlayTime
écrase Les Vacances de Monsieur Hulot.
Ainsi l'exposition se divise en chapitres : habiter (avec la merveilleuse
maquette de la Villa Arpel), travailler (des usines de lutte sociale aux
bureaux des multinationales), circuler (de la traction à la Simca, de la DS
à la Dauphine), se recréer (club de vacances, charter, night club,
drugstore, aéroports...) et patrimoine historique (de la maison de
Saint-Maur qui a disparu à la visionde la Tour Eiffel dans une vitre de
Tativille). Tous les films se font écho à travers ces thèmes. Circuler part
avec le vélo du facteur et se finit dans un salon de l'automobile. Entre
temps, on triple le parc de voitures en France. Car Tati ne fait que suivre
le mouvement ou sait l'anticiper. Avec intelligence, il comprend vite à quoi
va ressembler la société.
Tati a ainsi engagé une collaboration artistique avec le peintre Jacques
Lagrange. C'est ce dernier qui concevra la Villa Arpel de Mon Oncle ou
Tativille. Il a par ailleurs réalisé les sols (glissants) de l'Université de
Jussieu et de la Gare Montparnasse. Tati était un perfectionniste, il
s'était adjoint une sensibilité volontairement moderniste. Le réalisateur ne
critiquait pas les apports de l'urbanisme contemporain mais il reprochait
l'uniformisation et la généralisation des formes et des matériaux utilisés.
Ce qu'il n'aime pas ce sont les grands ensembles de Maine Montparnasse ou
les atrocités qui forment La Grande Motte. Pendant ces 30 années, la fête au
village se laisse remplacer par le jazz et la danse à la mode dans un night
club citadin.
L'exposition nous emmène ainsi des habitations qui évoluent avec le temps à
la politique de table rase qui a saccagé et dévasté des quartiers entiers de
Paris. On retrouve au fil de ce voyage dans le temps , dans l'espace et dans
les fonctions, une borne vidéo, des images de ses films et du mobilier
d'époque ; mais aussi des films d'actualité, des films de propagande et
d'information de du Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme, des
affiches révélant l'essor de la pub et de la société de consommation et bien
évidemment de nombreux documents personnels autour des tournages des films
de Tati, y compris des croquis de Lagrange.
On vous invite à le faire après avoir vu Playtime (qui est projeté au voisin Arlequin). Et avant de courir acheter les DVD!!!
- Vincy Thomas
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