Interview
Bertrand Tavernier
pour Ecran Noir (suite)
Sophie Marceau a déclaré il n'y a pas très longtemps, à propos de la sortie d'Anna Karenina - elle a fait des interviews aux Etats Unis - elle a d'ailleurs joué dans La Fille de dâArtagnan, un de vos films, elle a dit que le cinéma Français manquait de sujets universels pour pouvoir s'exporter.
Oui oui, Anna Karenine est sorti à Los Angeles et New York ce week-end.
La presse a été....pas très gentille. Avec Sophie Marceau et avec le film.
C'est à peu près ce qu'ils ont dit, oui....
Bon.
Oui, oui elle l'a dit il y a deux semaines, j'ai traduit l'interview....je peux vous l'assurer.
D'accord....
Pour continuer dans le coté strass, vous avez été surpris de recevoir le César du Meilleur Réalisateur cette année?
Oui, ça c'était vraiment une surprise.
Vous l'avez vu dans Tartuffe, à la Comédie Française?
On va dévier un peu de sujet...Sur les Lois Debré, pourquoi aucun cinéaste français ne s'est attaqué aux problèmes du Front National et du fascisme, par le média cinéma, par l'art?
Tout à fait, il n'y a pas très longtemps d'ailleurs.
Moi, dans L.627, on fait des allusions à Le Pen. A un moment quand Didier Bezace cogne sur un arabe, et qu'il se fait engueuler par un jeune policier, dans le film, il dit: "T'as qu'à t'imaginer que je vote Le Pen si tu veux..."Et j'avais même mis, dans ma première phrase, "que je vote pour ce connard de Le Pen". Didier Bezace m'a dit si on met "connard de Le Pen", comme il fait des procès à tout, on va se faire supprimer la réplique, tandis que moi je peux jouer Le Pen, je peux jouer ta phrase et on verra le mépris que j'ai pour lui, et on sera pas poursuivi. C'est vrai que c'est un problème. C'est vrai aussi que les cinéastes français ont été pendant longtemps un peu traumatisés par, comment dire, les déclarations, les prises de position critiques qui ont attaqué extrêmement violemment les films de Boisset, les films de Costa-Gavras, en disant, "faut pas faire du cinéma politique comme ça", et que un certain nombre de jeunes cinéastes ont voulu se démarquer...alors qu'il y a des films de Costa et des films de Boisset comme R.A.S. ou comme Allons z'enfants, qui sont de très bons films, y a une peur qui est en train de disparaître depuis 3-4 ans et je crois qu'on aura des films...il y a eu un grand nombre de films sociaux tout à fait importants, il y a des films qui parlent de politique, que ce soit Bye Bye, que ce soit Hexagone, ou les films de Malik Chibane (7), parlent d'une France qui luttent contre le FN. Les films de Claire Denis parlent de ça. Les films de Karim Dridi parlent de ça. Je crois qu'on va y arriver petit à petit. Mais plutôt que de parler de gens qui sont méprisables, pourquoi ne pas parler de gens qui sont très très bien. Par exemple, Hervé Le Roux a fait un documentaire admirable qui s'appelle Reprise, sur les ouvriers des usines Wonder. Et la manière dont il en parle, dont les gens, là, réagissent, sont montrés, des anciens militants de 68, c'est déjà toute une manière de lutter contre le Lepénisme.
En fait, ce que vous êtes en train de me dire, câest qu'en ce moment on est en train de chercher le bon message pour lutter contre le Front National....
On est bien d'accord...
Quand, comment vous mettez en scène Bruno Mégret (8)? Comment vous mettez en scène Jean-Marie Le Pen? C'est le comble de la caricature. Alors moi j'ai reçu un fax, oui, de Jean-Luc Godard, qui me dit: pourquoi est-ce qu'on ne ferait pas un film tous ensemble sur la vie privée de Catherine Mégret? Qu'on appellerait La Vitrolleuse ou en américain ça s'appelerait Fucking Cathy. Hein? Voilà, j'ai dit tout à fait d'accord! Tout à fait d'accord: on fait un film à sketches contre Bruno Mégret. Donc vous voyez que les idées sont en train de circuler. Et je dis que d'autre part, je pense que c'est en parlant de gens qui sont des militants de base, qui luttent là, peut-être que c'est plus intéressant de parler de ces gens là, qui sont des gens positifs, que de faire le portrait d'un maire FN, pour éviter la caricature...c'est absolument comme de parler d'un nazi. Donc c'est très dur d'éviter la caricature. C'est vrai qu'il y a un genre de personnage, mais qui est difficile à montrer, c'est le militant FN qui n'est pas forcément fasciste. Il peut être un communiste déçu qui est en train de voter Front National. Ça c'est un personnage qui va apparaître, je pense, d'ici quelques mois, quelques semaines, dans le cinéma Français. C'est sûr quâun jour quelqu'un va parler de ce personnage.
Pour continuer dans le sujet, actuellement vous avez enregistré une demande d'hébergement pour un acteur béninois, peut-on savoir quel est le problème exact de ce comédien?
Comme quoi Roger Hanin a encore servi...
Aujourdâhui la pétition de la Loi Debré sâest un peu essoufflée...
Nous avons été le relais officiel sur Internet de cette pétition, donc j'ai vu les réactions par la communauté internaute...elle s'est peut-être pas essoufflée, mais on a l'impression qu'on traite l'événement et qu'on ne va pas vraiment au delà....Que pourrait-on faire pour continuer ce formidable élan qu'on a eu en Février?
C'est votre prochain film?
On s'est tous posé ce genre de problème, comment continuer. Jeanne Labrune a loué un cinéma qui est Le Trianon, pour réunir...et elle a réussi à créer tout un mouvement autour du 3ième collectif des sans-papiers. L'AICREF vient de produire un film sur les sans-papiers qui est diffusé dans 600 cinémas en France. Donc y a tout un certain nombre de luttes et cette rencontre, qui était extraordinairement amicale, parait-il, ça consistait à mettre au point des manifestations ou des idées de films qu'on ferait ensemble. Peut-être qu'on mettra au point des films à sketches, peut-être mettre au point une journée sur Arte (10)....Y a des réalisateurs italiens qui ont tourné un film qui s'appelle Intolérance. C'est un film à sketches qui a été ou qui va être diffusé par la RAI (11). Y a à peu près une trentaine de sketches, sur l'intolérance, des sketches de 3 minutes. Donc en ce moment y a énormément...ça bouillone, y a beaucoup de réflexion, y a une volonté d'action et moi je constate une chose, c'est que ça a un petit peu réveillé ...
...l'opinion?
C'est le moins qu'on puisse dire; ils ont même été un peu pris de court, je crois. Jâai une dernière question. Vous avez pu participer à l'acceuil québécois de votre film Capitaine Conan. Quelle a été la différence, selon vous, par rapport au public français?
En France l'accueil fut très émotif, d'autant plus depuis la Loi Debré et les Césars...Il ne se passe pas de moments dans la rue, dans un café ou dans le métro, sans que j'ai des gens qui viennent me serrer la main. C'est absolument incroyable. Incroyable. Ça m'est jamais arrivé dans ma vie. Ma mère, je suis sorti avec elle, avenue de l'Opéra, et tout d'un coup elle a été suffoquée parce que pendant notre marche trois personnes sont venues me saluer. Et elle me disait, à chaque fois, "tu les connais", "non non c'est des gens qui viennent me dire Merci pour Capitaine Conan et Merci pour avoir dit ce que vous avez dit lors des Césars, Merci pour vos prises de position sur la Loi Debré.." et ma mère était suffoquée. C'est incroyable, pendant un espace de 200 mètres, 3 fois des gens sont venus me parler. Alors je constate ça. Et c'est un peu ce genre d'acceuil que j'ai eu ici à Québec.
Dans un autre esprit, parce qu'ici nous n'avons pas de fascisme....
On a eu beaucoup de soutien de la part des québécois contre la Loi Debré....
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