FILMOGRAPHIE |
Un ange est passé
Il y a dans le petit cimetière de Ramatuelle, sous le ciel de Provence, une tombe toute simple où les gens du pays et ceux de passage viennent souvent se recueillir. Gérard Philipe (en 13 lettres) dort là de son dernier sommeil, dans une terre qu'il aimait passionément parce qu'elle était à l'image de toutes ses croyances. Prince des comédiens vers qui montaient les hommage, objet d'un culte autrement pur que celui voué à son alter ego US, James Dean; beau comme un dieu couronné de lauriers, tellement épris de la vie et de tout ce qui élève l'esprit, il venait oublier dans cette contrée les servitudes de son métier, se décharger du poids de sa popularité en quelque sorte. Là, il n'était qu'un simple être humain en compagnie de sa femme et de ses deux enfants, souvent aussi de Minou, sa tendre et compréhensive maman. Toute sa vie durant, Gérard sut réussir la prouesse de rester un être authentiquement humain. C'est ce qui, avec son talent, faisait sa veleur de comédien. On eut peine à réaliser, quand se répandit le 25 novembre 1959, qu'il était parti pour toujours. Il avait marqué profondément tant de personnages à la scène et à l'écran. Si près aussi du public, qu'il avait su devenir son ami. D'où le même déchirement que pour Bourvil, qui, lui aussi, avait les pieds solidement sur terre. La masse est toujours sensible à un manque total d'affection: il aime sentir que ses idoles lui appartiennent. C'était le cas pour Gérard Philipe. A Ramatuelle, où il avait une riante maison, "La Rouillère", tout le monde l'aimait. Il parlait à chacun, ce qui, chez lui, était naturel et instinctif. Les locaux le considéraient comme un des leurs. "Un monsieur qui n'y met pas de formes", disait-on, ce qui était un compliment de poids.
Sur les planches de Paris La générosité en personne avec ça. S'il aimait vivre, il faisait aussi vivre plus d'un ami. Au point que lorsqu'il mourut, et ce fut une mort atroce, sa femme Anne connut des moments difficiles. Elle dut vendre ses bijoux, même celui auquel elle tenait le plus: un solitaire dont Gérard lui avait fait don le jour où naquit leur fils Olivier, en 1956. Les avatars des Liaisons Dangereuses, interdit à l'exportation par décision gouvernementale, devaient ajouter à ces difficultés matérielles. En effet, Gérard avait des participations dans ce film, son avant-dernier. Lorsque cet interdit fut levé, la situation changea: Anne et ses enfants connurent des jours meilleurs. Elle, ayant dû accepter un emploi au Musée de l'Homme, put enfin envisager un avenir plus serein. Elle écrivit alors le bouleversant témoignage qu'est "Le Temps d'un Soupir", reflet tout de pudeur des dernières heures d'un compagnon tendrement aimé. Il suffit de lire ou relier ce livre pour avoir la gorge serrée, et sentir des larmes perler au bord des cils. Cette sensibilité était la définition même de son personnage. Aragon disait de lui: "Il demeure éternellement la preuve de la jeunesse du monde."
Plus qu'un jeune premier, le premier des jeunes. Alors commença une ascension vers les cimes de son art. Si le théâtre resta de tout temps son grand amour, là où il donna toute son énergie, il aima aussi, on peut même dire passionnément, le cinéma. C'est devant les caméras qu'il exprimait me mieux sa vulnérabilité. Il travailla avec de grands metteurs en scène, leur apportant une collaboration enrichissante. Il voulut même, ayant profité de leurs leçons, passer derrière la caméra et on attendait beaucoup de ce premier essai. Mais Les Aventures de Till l'Espiègle fit refroidir les espoirs. Peut-être Gérard n'était-il pas encore assez mûr pour édifier l'édifice qu'est un film? Il ne répéta pas l'expérience, désapointé sans doute d'avoir été lui-même déçu. Un de ses personnages préférés, fut adoré du grand public: la fusion s'opéra avec Fanfan la Tulipe. Lui qui aimait rire, faire des blagues, se dépenser physiquement, était taillé sur mesure pour ce héros populaire. Comme il le fut, deux ans plus tard, pour personnifier Monsieur Ripois, qui ne connut pas le même succès.
Romantique Il avait les plus jolies femmes à ses pieds mais il choisit Nicole Fourcade qu'il rebaptisa Anne. Et qui érigea toujours entre sa vie privée et sa brillante existence de comédien, une infranchissable barrière. Loin des lumières de la rampe, il ne se voulait plus qu'être humain comme les autres. Ses enfants, de ce fait, n'ont jamais servi à sa publicité. Ce qui nous l'a rendu plus proche encore. Ou peut-être à l'image de cette France un peu familiale, traditionnelle, classique. Ce bonheur très années 50.... Innocent et ensoleillé. Sa fille Anne-Marie est devenue comédienne. Raisonnable, ne voulant pas forcer les étapes, elle a choisi de débuter officiellement au sein de la compagnie Barrault-Renaud dans Harold et Maude et à la télévision. On retrouve dans ce simple fait l'honnêteté artistique de son père pour qui son métier était un sacerdoce. Tellement en phase avec sa décennie, rien ne dit qu'il aurait résisté à l'assaut de la Nouvelle Vague, et aux évolutions du cinéma. Disparu en pleine gloire, la mémoire du 7ème art ne se souvient de lui qu'éblouissant et à son summum. Peu de ses films ont résisté au temps. Les tulipes ont fané. Il en reste la beauté du diable. Et pour nous, le visage d'un ange. Chris / Vincy |
(C) Ecran Noir 1996-2003