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Dans la tête de Lynch
Exposition David Lynch à la fondation Cartier du 3 mars au 27 mai 2007
261 boulevard Raspail
75 014 Paris
commissaire de l'exposition : Hervé Chandès
Oeuvres de 1960 à nos jours
Plus de 500 croquis et notes
Les fans, qu'il aient été déçus ou au contraire ravis par Inland Empire, attendaient ça de pied ferme : une exposition entièrement consacrée à un David Lynch peu connu, le plasticien qui se cache derrière le réalisateur de renom. Depuis son passage à l'académie des beaux-arts de Philadelphie, David Lynch n'a en effet jamais cessé de peindre, prendre des photos, dessiner ou même griffonner sur de simples morceaux de papier. Pour la première fois, une exposition présente cet aspect particulier de son oeuvre de manière quasi complète. Au travers de centaines de création (tableaux grand format, photographies noir et blanc et couleurs, croquis, petites peintures, dessins, films expérimentaux…) datant des années 60 à nos jours, les visiteurs sont invités à pénétrer dans l'univers personnel et intime du réalisateur et, qui sait, y trouver de nouvelles clefs.
En homme qui n'aime pas expliquer sa démarche artistique, David Lynch s'est révélé heureux de laisser son oeuvre s'exprimer à sa place. C'est pourquoi il s'est énormément investi dans l'élaboration de l'exposition, en créant notamment des environnements sonores spécialement pour l'occasion et en dessinant des portiques d'acier habillés de rideaux pour servir de supports à ses peintures. Hervé Chandès, le directeur de la Fondation Cartier et commissaire de l'exposition, s'est lui occupé de fouiller dans les archives personnelles du créateur pour y dénicher les oeuvres aujourd'hui présentées. Un travail de titan qui n'a pas manqué d'impressionner l'auteur. "Hervé est un saint ", avoue Lynch. " C'est son enthousiasme qui est à l'origine du projet. Je le remercie de m'avoir poussé à montrer une nouvelle fois mon travail artistique."
Le résultat final est assez impressionnant. Au rez-de-chaussée, deux vastes pièces sont consacrées à The air is on fire. La première, lumineuse et vaste, présente les toiles les plus intéressantes de Lynch, des compositions en relief (peintes on préfère ne pas trop savoir avec quoi) mettant en scène un homme du nom de Bob, des monstres inquiètants ou encore un individu qui vient de recevoir une balle dans la tête. C'est étrange, parfois dérangeant, mais toujours en parfaite adéquation avec l'univers connu de Lynch. Sur les toiles, de petits messages écrits donnent des indications faussement précieuses aux visiteurs comme "Bob se voit en train de marcher vers une formidable abstraction" ou "- Tu veux que je te dise ce que je pense vraiment ? – non".
Lynch dans sa vie quotidienne
Dans l'autre pièce, plus petite et sombre, on trouve de vastes toiles grises sur lequelles sont accrochés de grands tableaux noirs. Plus sombres et torturées, ces oeuvres très peu figuratives abordent le thème de la "maison", du "chez soi" que l'on cherche ou que l'on quitte. Mêmes petits messages-titres, cette fois-ci sous forme de collage. "Elle était en train de pleurer juste à l'extérieur de la maison", "un insecte rêve du paradis". David Lynch aime jouer avec ceux qui regardent ces oeuvres, leur montrer des pistes qui se dérobent ausitôt sous leurs pieds ou leur indiquent le chemin, c'est selon. Il s'amuse de cela bien plus que de chercher un sens aux choses. "L'être humain aime le monde de l'abstraction bien plus qu'il ne le pense", lance-t-il, espiègle. "Certaines personnes aiment être perdues un moment dans l'abstraction, d'autres se sentent frustrées. Chaque film, chaque tableau a son public. Aucun ne peut plaire à tout le monde.". L'artiste se fait complice de ceux qui sont joueurs et, il faut bien l'avouer, se moque un peu des autres…
Impression renforcée lorsque l'on s'approche de la seconde partie de la pièce. Sur les murs, plus de cinq cent croquis et notes griffonés sur tous les supports possibles et imaginables : post-it, serviettes en papier, pages de scénarios, feuilles déchirés, cahiers d'écolier… Des formes géomètriques aux gribouillis informes en passant par des animaux, des portées musicales ou des fenêtres ouvertes sur un ailleurs indistinct, toute la vie quotidienne de Lynch semble concentrée ici, de manière dérisoire et enfantine. Presque une blague de potache : faire admirer des petits riens sans queue ni tête qui, s'il avaient été dessinés par n'importe qui d'autre, n'intéresseraient personne. Touche-t-on du doigt la réalité du créateur en contemplant ces croquis ou ne fait-on que participer à un immense happening qu'il a imaginé pour apporter une nouvelle pierre à l'édifice ? Tout cela ne manque pas de piquant, de cet humour froid qu'il distille dans ses films. Du coup, il est difficile de s'arracher à la contemplation rêveuse de ces fragments épars qui forment la vie de David lynch.
Retour à l'écran
La dernière partie de l'exposition, au sous-sol, est plus conventionnelle. Quelques esquisses, des tableaux et surtout des photographies. L'homme n'est pas forcément un grand dessinateur, mais c'est un photographe accompli. Le piqué des noirs et blancs, la fulgurance des compositions, font mouche. Une série de bonhommes de neige à moitié fondu, représentations grotesques d'un être humain désenchanté, en dit long sur le regard accéré, mais non dénué d'une dérision naïve, que Lynch porte sur ses contemporains. Plus loin, la série des Distorded Nudes (images numériques réalisées en 2004 à partir de photos érotiques de 1840 à 1940) révèle des femmes monstrueuses aux membres sectionnés et aux corps suppliciés. On pense à Elephant Man, à l'homme défiguré de Sailor et Lula, à toute la galerie de freaks qu'il place dans ses films.
On en revient toujours à l'écran : et c'est par des images projetées que se clôt l'exposition. Dans un petit théâtre inspiré d' Eraserhead sont diffusés des courts métrages et de petits films expérimentaux. Fascinant de voir s'animer soudain tous les personnages qui peuplent tableaux et photographies. On comprend mieux la volonté de l'auteur de présenter ses oeuvres en dehors de toute chronologie, sans légendes ni explications. Quand il se livre, c'est de manière globale, entière, comme un tout que chacun n'a qu'à appréhender à sa guise. Exactement à l'image de ses films.
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