|
Pomme de peines
Ni d'Eve, ni d'Adam, d'Amélie Nothomb
252 pages, éditions Albin Michel
Quand elle n'écrit pas des histoires morbides et loufoques sur des névrosés tiraillés par Eros et Thanatos, Amélie Nothomb se raconte. "Métaphysique d'un tube" en bébé nippon," Biographie d'une faim" de globe-trotteuse, "Sabotage amoureux" et enfantin en Chine, "Stupeur et tremblements" d'une employée maladroite au Japon... L'auteure belge - adaptée médiocrement au cinéma par Alain Corneau et François Ruggieri, en attendant Le sabotage amoureux de Christine Delmotte - revient sur son retour au Japon, juste avant son embauche dans la grande multinationale qui la conduira à faire la Dame pipi faute de savoir bien compter...
"Ni d'Eve ni d'Adam" s'avère étonnamment mélancolique, maniant une autodérision appuyée mais aussi une révélation des sentiments toute en retenue. Sous ses allures romantiques, le livre, parfois bancalement, parfois subtilement, est sans aucun doute le plus intime de tous. Elle n'évoque pas seulement son premier amour. Ce jeune homme qui va lui faire connaître le Japon et la rendre presque concitoyenne n'est que le révélateur de la créature qu'elle va devenir : une randonneuse des montagnes philosophant avec les flocons et les étoiles, une insouciante s'adaptant mieux à l'absurde qu'au réel, une gastronome étrange, une amante de l'insolite et de l'exotique, une insomniaque - insatisfaite - insatiable. Amélie parle à la première personne, tutoie les mythes, rêve en pages blanches à noircir.
Cela donne un récit fluide et sans enjeu. Comme un cours d'eau parfois torrentiel, parfois long fleuve tranquille. Jamais reposant. "Ni d'Eve ni d'Adam" fait escale dans des digressions peu captivantes puis nous happe dans des anecdotes passionnantes. Ce déséquilibre permanent est sauvé par un fil conducteur qui nous rend plus voyeur que lecteur. Pénétrant dans l'éducation sentimentale de la plus mystérieuse des romancières, nous découvrons doucement et par étapes ce qui l'attache au Japon, ce qui la détache du conformisme.
Et si elle accélère le tempo sur les dernières pages, c'est que le temps défile plus vite. Elle a raconté la suite, on connaît la fin (elle devient écrivain). Nostalgique, le livre ne s'intéresse pas à ce qu'elle est mais ce qui l'a construit. L'obligation de boucler la boucle, de raconter toute l'histoire d'amour jusqu'à sa désillusion, pourra laisser un goût amer. Elle aurait pu conclure sur sa fuite conjugale et son décollage du sol tokyoïte. Mais Nothomb, et louons son exigence, a su, pour la première fois depuis longtemps (Cosmétique de l'ennemi?), terminer son oeuvre sans nous laisser sur notre faim, sans avoir cet arrière-goût de déception. Le roman est plutôt épicé au gingembre et au wasabi. Une envie de démontrer (par la preuve) sa soif de liberté absolue, loin des conventions et des compromis, et de dévoiler (par l'épreuve) son regard sans concessions sur les relations humaines. Et l'équation donne un résultat plus qu'honorable puisque la mesquinerie, l'incompréhension, l'hypocrisie, l'incommunicabilité ne gagnent jamais sur les rêves, la magie, la poésie, l'amour.
"Ni d'Eve ni d'Adam" est une fable naïve où le réel même sordide est embelli par la simple grâce des mots.
* A noter quelques passages dédiés au cinéma...
|