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E Viva la diva
Music-Hall, mis en scène par Lambert Wilson
Théâtre des Bouffes du Nord, à 20 h 30 du mardi au samedi, en matinée le samedi à 15 h 30. Jusqu'au 14 février.
Le texte de Music-Hall est publié aux Solitaires Intempestifs
avec Fanny Ardant, Eric Guérin, Francis Leplay
Elle dit ne pas connaître le théâtre pessimiste, poétique, romantique, désespéré de Lagarce. Music-Hall, pièce abstraite et rythmée, cousine de Sunset Boulevard, est aussi l’une de ses rares tentatives caustiques, où l’auto-dérision n’est là que pour adoucir, et peut-être même sucrer, l’amertume qui gâche un peu les souvenirs.
Elle dit avoir eu le coup de foudre pour ce texte savoureux en bouche, flirtant avec le vulgaire populaire, épousant l’élégance des fulgurences verbales qui surgissent de la mémoire. Des mots qui font sans doute mal par leur vérité, mais qui sont beaux et parfois drôles, décrochant des rires aux spectateurs, tous fascinés, par elle.
Elle n’est pas seule. Deux compagnons, un couple d’hommes, qui parfois se chamaillent, qui vivrent accrocher à elle, dans son ombre, pour ne pas la laisser seule. Rien de mieux pour une vedette des bas-fonds, dont l’emprise est irréfutable, que des gays. Cela donne un côté kitsch, et réaliste à ce faux One Woman Show. Il s’agit plutôt du portrait d’une gloire factice, fanée, finie.
Pour l’incarner, il fallait une star. Qui ? Deneuve ne fait pas de théâtre. Baye n’aurait pas eu le charisme nécessaire. Adjani aurait trop dramatisé le propos. Huppert l’aurait rendu plus névrosé. Le choix d’une comédienne peut dértuire autant qu’enrichir une pièce. Lambert Wilson, metteur en scène habile, a trouvé la diva idéale. Celle qui n’a pas besoin d’un décor baroque pour exister, qui capte la lumière de manière innée, qui impose sa présence, son histoire, depuis trente ans au cinéma et sur les planches, et surtout sa voix. Idéale pour ce quasi monologue, jamais monocorde, aussi rythmé et musical que l’air de Joséphine Baker, en fond sonore. Dès que l’un de ses comparses imite sa voix éraillée, grave, profonde, troublante, on en rit, tellement c’est une marque de fabrique, une composante essentielle de sa personnalité, de son talent.
Une tragédienne décalée
Fanny Ardant et moi. Emois. Et nous. A nous. Elle monopolise l’attention.
Fascination pour une femme de mauvaise foi, sans joie, sans toits, laissée sur la route, quand son « mari » et agent l’abandonna. Les bâteaux, les avions, les tournées se réduisirent à des lieux inaccessibles ou désertés. Meneuse de revue, sans être vraiment vue. Loin de la Callas ou de Sarah Bernhardt, qu’Ardant interpréta, « la fille » telle qu’elle se nomme elle-même, sort de sa classe naturelle pour se livrer, toute naturelle, à un grandiose numéro de femme déchue, grinçante, cinglante, pas forcément polie et courtoise.
Juchée sur son tabouret, râlant sur les scènes trop étroites, mais trouvant toujours la solution adéquate, précise sur la qualité des lumières ou de la musique, elle nous vampirise et, presque, nous pourrions croire que Ardant est largement meilleure que cette « Fille ».
Une fourrure, une longue robe, une perruque blonde sont ses seuls accessoires. Wilson réserve quelques effets pour rappeler sa gloire, y compris une gracieuse balançoire. Mystérieuse et badine, fière et triste, elle passe du rire aux larmes. On frissonne à la voir s’approcher, les yeux embués, le masque tombé, à vasciller du plein de souvenir au réel, vide. Ce « rien » qui remplit ses journées, qui la meurtrie.
L'art de la répétition
Entre parodie de la diva qu’elle pourrait être et le pathétique ringardisme véhiculé par les deux garçons, interchangeables et remplaçables, Wilson créé une pièce trash et digne, joyeusement dépressive. Tous ces désaccords avec l’existence ratée de chacun est orchestrée en parfait accord par le metteur en scène et l’auteur de ce texte chic et pas toc, précis jusque dans la ponctuation, comme un Duras. D’ailleurs qui de mieux que la Durassienne Ardant pour lui donner chair ? Et si « la Fille » ne reoit plus de bravos, la Fanny mérite tous nos applaudissements. Car, tandis que Joséphine Baker chante ne me dis pas que tu m’adores, nous on la plébiscite.
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