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Culture couture
La haute couture est l’expression d’un savoir-faire, d’un artisanat et
d’une créativité exceptionnels qui contribuent au rayonnement de Paris et
de ses maisons. Annoncée moribonde depuis plusieurs décennies, la haute
couture résiste, encore et toujours. Elle fait partie du patrimoine et elle
est essentielle à plusieurs maisons. La haute couture a su aussi se
régénérer en invitant jeunes créateurs et maisons de joaillerie dans son
calendrier. A l’issue de ces présentations Hiver 2010-2011, la magie de la
couture opère plus que jamais !
C’est le bouquet !
Au musée Rodin, Dior a ouvert le bal des présentations. Entre héritage et
avant-garde, John Galliano s’inspire de la ligne « Tulipe » de Monsieur
Dior et d’une observation quasi naturaliste des fleurs. Dans un décor de
jardin géant, il fait éclore une collection en rupture avec ses lectures
parfois (trop) littérales du New Look de ces dernières saisons. Galliano
retrouve une liberté avec ce thème et joue avec les matières et les
proportions avec virtuosité. Féminin, sans excès, le créateur vise juste.
Hommage à Frida Kahlo
Riccardo Tisci, le créateur de Givenchy, aime flirter avec l’esprit
gothique et le mystère. Plutôt qu’un show spectaculaire, le créateur a
préféré le cadre feutré d’une présentation pour une collection dont le
motif principal est le squelette, retravaillé avec des broderies précieuses
et des dentelles d’une extrême richesse. Une fois encore, Riccardo Tisci
apporte une vraie modernité à la couture. On retrouve les obsessions de
l’artiste Frida Kahlo : la religion, la sensualité et l’anatomie humaine.
Sous le signe du Lion
La maison Chanel a fait de ses présentations de grands spectacles. Cette
fois-ci, c’est un énorme lion de 12 mètres de haut et 20 mètres de long qui
a été installé sous la verrière du Grand-Palais. La collection n’est,
néanmoins, pas à la hauteur de la démesure du roi des animaux. Quelques
pièces sont remarquables avec leurs broderies Lesage exceptionnelles mais
l’ensemble est un brin triste et classique. Cela ressemble trop à un
exercice de style. Tout cela manque de fraîcheur et de profondeur.
Le sacre de Gaultier
Dans sa chronique dans l’International Herald Tribune, Suzy Menkes qualifie
Jean-Paul Gaultier de « trésor national ». Gaultier démontre son talent en
célébrant, une fois encore, le glamour et Paris. Les looks de Gaultier
mêlent, avec subtilité, impertinence et raffinement. Maître de l’ambiguité,
Gaultier joue avec tout : les genres, les mythes, le kitsch et le précieux.
Cerise sur le gâteau, un affriolant effeuillage de Dita von Teese pour
promouvoir une collection de lingerie avec La Perla.
Alexis Mabille, la coqueluche parisienne des rédactrices, présentait une
collection couture plus quotidienne. Il s’agissait, plutôt, d’une
collection de prêt-à-porter de grand luxe. Le nœud demeure sa signature
mais il a développé son vocabulaire stylistique avec des dentelles et un
travail autour du smoking.
La couture demeure, également, un laboratoire d’idées et d’expérimentations
comme le montrent des créateurs comme Bouchra Jarrar, On Aura Tout Vu,
Gustavo Lins ou Adeline André. Deuxième collection pour Bouchra Jarrar,
ancienne directrice du studio de Christian Lacroix, qui décline le noir et
l’ivoire sobrement et avec élégance. Le duo On Aura Tout Vu continue à
naviguer entre poésie et fantaisie. Depuis que Lady Gaga s’intéresse à eux,
tous les projecteurs de tournent sur OATV. Avec « Fishing for compliments
», ils continuent à nous raconter des fables merveilleuses. Gustavo Lins,
de son côté, explore les matières avec rigueur et précision. Pour cette
collection, Adeline André poursuit son chemin solitaire loin des «
tendances ». Suspensions est un jeu de construction et de couleurs. Une
réflexion intemporelle sur la mode et le corps.
Didier Ludot, le « pape » du vintage, rend un hommage à la maison Carven.
Dans sa boutique du Palais-Royal, il présente archives de Mme Carven et
créations du jeune Guillaume Henry pour Carven. Et, pour célébrer
l’événement, une édition spéciale de La Petite Robe Noire avec Carven.
Vent de la révolte…
Mais entre deux défilés, on évoque à mots couverts, le courrier anonyme
envoyé à plus de 600 journalistes et professionnels de la mode. Une petite
bombe dans l’univers consensuel et bien-pensant de la mode.
En substance, ce mystérieux courrier dénonce, avec conviction, l’inaction
des pouvoirs publics pour les créateurs malgré les grandes déclarations
d’intention. A commencer par la scandaleuse Association Nationale pour le
Développement des Arts de la Mode (ANDAM) qui distribue tous les ans, des
bourses. Cette année, l’arrivée de Carine Roitfeld, la rédactrice en chef
du Vogue Paris, devait donner un nouvel élan à ces prix et permettre de
montrer l’intérêt (nouveau) de la presse française pour les jeunes
créateurs parisiens. Cela était trop beau pour être vrai et pour la
cinquième année consécutive, c’est un créateur « from London » qui empoche
le pactole de 220 000 euros !!!
Il est surprenant qu’une association rattachée au Ministère de la Culture
soit aussi aveugle sur ce qui se passe à Paris et soit dans la fascination
branchouillarde de la scène londonienne. Pour la mode aussi, l’incapacité
de Frédéric Mitterrand à donner une vision claire et ambitieuse pour la
scène créative parisienne est déconcertante.
C’est, ensuite, au tour de la pimpante Elisabeth Quin, journaliste,
critique de cinéma et chargée par le ministre de l’Industrie de réfléchir
au devenir de la mode, d’en prendre pour son grade. Ses talents littéraires
sont incontestables mais on peut s’interroger, en effet, sur ses capacités
à mener une réflexion sur les mesures administratives, règlementaires et
financières pour soutenir ce secteur. Garanties financières, heures
supplémentaires, banque de la mode, redynamisation du tissu industriel
semblent être des mots étrangers à son vocabulaire. A part la rencontre
très photogénique entre M. Estrosi et Mme Wintour et quelques annonces
fracassantes, le bilan est des plus minces à ce jour.
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