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Livre au trésor
Quel est Mon Nom?
de Melvil Poupaud
éditions Stock, parution : septembre 2011
288 pages, avec illustrations
On le savait acteur, subtil, magnétique, séduisant, et rockeur (avec son frère). Mais il s'est toujours rêvé écrivain. Sans doute l'attirance d'un milieu mystérieux qu'il a fréquenté jeune : Duras, l'ami Daney, Guibert, Lacan...
Quel est Mon nom? n'est pas une autobiographie ordinaire. Poupaud n'a pas non plus écrit un simple livre de souvenir. Avec de nombreuses illustrations (photos, cartes postales, extraits de scénario...), il déroule sa vie comme un journal intime ou plutôt un carnet de voyages. Des voyages romanesques, oniriques, inventés... Comme l'acteur avoue qu'il est né pour jouer dans des road-movies, l'auteur aime les labyrinthes de l'imagination, fertile. A l'image de l'appartement de Raoul Ruiz, composés de couloirs infinis et érudits.
Son parcours est à la fois un miroir reflétant l'enfant qu'il était, l'adolescent qu'il fut, et l'adulte qu'il est devenu. C'est aussi un regard posé sur le monde, peuplé de célébrités, de songes, de films bricolés en super 8, de projets avortés, d'amours contrariés, de rencontres inespérées. De Chiara Mastroianni (son premier grand amour) à son père, Marcello, à sa mère Catherine Deneuve (l'évoquer "sera toujours une chose délicate pour moi tant mon admiration et mon amour pour elle sont vifs", mais aussi Adjani (baby sitter), l'actrice de L'amant, Jean Dujardin (qui le surnomme "le chien chelou")...
Entre un scénario le mettant à distance et sa mémoire vive d'une jeunesse agitée et singulière, Poupaud se révèle brillant et imaginatif, doté d'un réel style (vif) et d'une écriture plutôt délicate. Rien d'impudique, mais les détails ne manquent pas. Il s'agira même, sans aucun doute, d'un livre hommage posthume à Ruiz : le comédien révélé à 11 ans apr le cinéaste franco-chilien précise les méthodes de travail du réalisateur, ce qui en fait un document de travail inespéré pour les futurs cinéphiles.
Du Portugal au Vietnam, de Londres à Rome, les voyages de Melvil nous emmènent dans un monde fantastique, à la manière d'un conte de Ruiz revisitant L'île au trésor. De chair et de sang, entre cinéma d'antan et séries B gore, il rejette tout pathos, même si l'humour reste trop discret parfois (il est essentiellement présent dans les notes de bas de pages, signées des personnes citées dans le chapitre, comme autant de petits rappels ou de vérités reformulées). La souffrance serait-elle plus grande que celle que l'on perçoit?
Il ne lui reste plus qu'à réaliser. La tentation semble irrésistible. Maintenant qu'il a évacué le passé, il lui faut affronter un avenir peuplé de fantômes, les Daney et autres Ruiz. Car il ne peut pas se contenter de cette philosophie de vie, qu'il décrit (par dépit?) page 54 : "Tout ce que je veux, ce sont des souvenirs. Je vis tout en fonction des souvenirs que cela me laissera. (...) Mon plaisir est un plaisir posthume. J'aime les choses quand elles n'existent plus, que dans ma mémoire." Qu'il partage comme on partage un contenu qu'on aime sur Facebook. Quel est Mon noM? n'est qu'un livre renvoyant son visage atemporel.
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