|
Inventaire à la Prévert
Les enfants du Paradis
Cinémathèque Française, du 24 octobre 2012 au 27 janvier 2013
Catalogue aux éditions Xavier Barral
Rétrospective intégrale Marcel Carné (24 octobre-25 novembre)
Le cinéma de Jacques et Pierre Prévert (31 octobre-18 novembre)
Journée d’étude le 5 novembre
L’exposition Les enfants du Paradis est audacieuse : montres homme un seul film, aussi grand soit-il, mérite-t-il autant d’intentions ? À suivre le parcours de ce musée presque imaginaire, aussi élégant qu’intriguant, on se dit qu’elle était même nécessaire.
On y trouvera tout ce qu’on attend : costumes, décors, scénarios, affiches, tableaux et vieux livres qui font le lien avec les diverses inspirations et influences et cette production démesurée, folle, mouvementée. Car Les enfants du Paradis, ce n’est pas qu’un film mythique dans l’histoire du 7e art. C’est également l’un des tournages les plus ambitieux et les plus tourmentés de l’histoire du cinéma Français.
Un roman en soi. Du théâtre des Funambules au fait divers avec Lacenaire, Prévert commence par écrire un scénario (illustré avec des dessins) avec un génie admirable. « Le Karajan de l’écran » selon Arletty. Son dénouement différera de la version cinématographique. Film en trois chapitres, il ne sera composé que de deux, évinçant le procès du mime Deburau. Sans doute parce que les conditions de tournage sont compliquées, Carné préférera s’éviter cet ultime chapitre.
En effet, le tournage, sous l’Occupation, sera tumultueux. L’exposition n’est pas qu’un making-of artistique, et c’est là toute sa force.
Création collaborative entre quatre virtuoses de leur art - une bande de copains : l’orfèvre des mots Jacques Prévert, le décorateur Alexandre Trauner, le musicien Joseph Kosma et le cinéaste à succès Marcel Carné -, Les enfants du Paradis succèdent aux Visiteurs du soir. Arletty est alors une star (magnifique tableau de l’actrice, nue, par Moïse Kisling). Le budget est faramineux (au final il coûtera 42,5 millions de francs, dont près de 14 millions de dépassement). Et le tournage un calvaire.
Le boulevard du crime (150 mètres de 50 façades factices) subira une bourrasque le détruisant en partie ; un des comédiens , Robert Le Vigan, collaborateur notoire, s’enfuit, obligeant le réalisateur et les comédiens à reconstruire des décors et à retourner des scènes avec son remplaçant, Pierre Renoir ; Jean-Louis Barrault est sous contrat avec la Comédie Française, ce qui ne facilite pas le plan de tournage ; Alexandre Trauner travaille dans la clandestinité. Et c’est sans compter les interruptions pour des raisons politiques (les Allemands tentent même de s’emparer des studios de la Victorine) et financières (le retrait des producteurs italiens qui bloquent le tournage puis obligent Carné à chercher de nouveaux partenaires : Gaumont refuse, Pathé acceptera). Et à voir tout ce que cela entraîne de surcoûts, contrats et autre paperasse, on comprend que le tournage se soit étalé sur 9 mois entre Paris, Joinville et Nice.
Cette partie sur le rôle paradoxalement salutaire du régime de Vichy est évidemment la plus intéressante historiquement. D’ailleurs Prévert a ce joli mot : « les seuls film contre la guerre, ce sont les films d’amour. »
L’exposition, aussi pédagogique qu’exploratrice, s’achève sur la postérité du film. Il avait attiré à l’époque 4, 768 millions de spectateurs et fut le 3e succès de l’année. Alors on découvre une salle qui le diffuse. Tant mieux, car on n’a qu’une envie en visitant cet appartement avec ses grandes pièces et ses recoins, celle de voir ou revoir le film. Le Dvd /Blu-ray est prêt à sortir, en copie restaurée. De quoi prolonger la visite…
Nota bene : la Collection Carné (anagramme d’écran) est exposée dans la galerie des donateurs, offrant aux visiteurs un parcours de sa filmographie, de ses triomphes populaires à ses échecs d’après guerre.
|