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Losey l'Européen
Un florilège de Joseph Losey de Denitza Bantcheva
Collection Cinéma, Editions du Revif
314 pages, 20€
Joseph Losey est décédé en 1984, après une carrière de près de cinquante ans durant laquelle il réalisa plus de 35 films dont certains sont restés parmi les plus importants de leur époque. Pour rappeler l’apport considérable de ce réalisateur inclassable dans le cinéma mondial, la journaliste et écrivain Denitza Bantcheva a décidé de lui consacrer un Florilège concentré sur sa période européenne. Pour l’auteur, qui revendique un choix et des critères personnels pouvant prêter à discussion, il s’agit d’analyser une sélection des films européens de Losey "qui [lui] semblent à la fois les plus novateurs et les plus accomplis". Sans lui, écrit-elle en effet, "le paysage d’ensemble du cinéma européen des années 1960-1980 ne serait pas le même".
Et elle le prouve en analysant onze longs métrages tournés entre 1958 et 1979, parmi lesquels The servant, Cérémonie secrète, Le Messager, M. Klein ou encore Don Giovanni. D’une écriture élégante, et à grands renforts d’exemples précis de plans ou de séquences, Denitza Bantcheva décrit et détaille les nombreuses spécificités du cinéma de Joseph Losey, grand cinéaste novateur réputé pour ses effets de distanciation et son originalité formelle : sens du détail, minutie dans la composition des plans, utilisation toujours signifiante de motifs baroques, audace dans la déconstruction de la narration, effets de stylisation …
Elle insiste également sur le regard extrêmement complexe que le cinéaste pose systématiquement sur ses personnages comme sur ses intrigues. Au sujet de The servant, film emblématique de l’œuvre de Losey, elle écrit ainsi : "le scénario et la mise en scène du film ne sont pas construits selon le principe (classique) d’une action vouée à conduire le public aux conclusions les plus limpides possible ; leur conception est tout autre : il s’agit de multiplier les aperçus surprenants des personnages, pour atteindre un effet de complexité comparable à celle de la vie réelle."
Cette plongée fascinante et passionnante dans des films qui se prêtent presque naturellement aux analyses les plus fines et les plus brillantes, permet de redécouvrir entièrement le savoir-faire de Losey et d’en apprécier la multiplicité des pistes de lecture. Différents repères chronologiques et bibliographiques ainsi qu’une série d’entretiens (avec Alain Delon, le chef opérateur Pierre-William Glenn ou encore Michel Ciment) viennent agréablement enrichir l’ensemble en apportant un éclairage à la fois amusant et bienveillant sur la personnalité du metteur en scène et sa méthode de travail si particulière.
Enfin, avec ce livre, Denitza Bantcheva ouvre aussi la voie à ceux qui souhaiteraient à leur tour se pencher sur l’œuvre de Losey. "Je forme le vœu de voir les publications
loseyennes se multiplier en France, d’ici au prochain anniversaire propice à célébrer le cinéaste", déclare-t-elle en préambule de l’ouvrage, avant de rappeler, au sujet des longs métrages les moins réputés du cinéaste : "Écrire sur ces films est particulièrement stimulant pour quelqu’un qui considère que l’utilité essentielle de l’historien du cinéma, c’est de mettre en valeur les œuvres oubliées ou décriées dont les qualités pourraient être largement reconnues si l’on faisait de son mieux pour attirer plus d’attention sur elles".
Pari largement réussi pour cet ouvrage qui donne à la fois envie de reconsidérer la filmographie de Joseph Losey dans sa globalité, mais aussi de se lancer à son tour dans un florilège personnel et détaillé de ses films les plus remarquables.
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