LOUIS DE FUNES

IL ÉTAIT UNE FOIS SERGIO LEONE




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Septembre 2015

DÉMONS
Duos sur canapés

Démons
Du 9 septembre au 11 octobre 2015
Théâtre du Rond-Point, Paris (1h40)
Pièce de Lars Norén
Mise en scène de Marcial di Fonzo Bo
avec Romain Duris, Marina Foïs, Anaïs Demoustier, Gaspard Ulliel

Pas sûr qu’on vienne voir Démons pour le texte de Lars Norsen. Cette histoire de deux couples prêts à imploser, cherchant le salut dans un échangisme mal assumé, a ses « moments ». Rien de bien neuf du côté de la perversion ou de la passion, de l’ennui dans le couple ou des aspirations inassouvies. Menant nulle part (tout le monde perd ou tout le monde gagne, selon l’interprétation), le texte glisse sur nos oreilles et le monologue final de Katarina (Marina Foïs) ou celui introspectif de Frank (Romain Duris) résonnent dans le vide, dénués de phrases fortes, bégayant au point de s’enliser. Il y a un manque d’intensité dramatique frappant dans cette pièce.

Certains viendront pour la mise en scène de Marcial di Fonzo Bo, jeune prodige argentin qui nous merveille depuis plusieurs années avec ses tragédies froides, ses mélos frigides, ses décors déshumanisés, ses femmes au bord de la crise de nerfs et ses mâles qui ont mal à leur virilité. De ce point de vue là, Démons ne déçoit pas. Dans un grand appartement qui tourne en rond (plutôt que de changer de pièce pour les comédiens, le spectateur est acteur de la mobilité des personnages), la fête est triste, l’amour torturé, la chair impuissante malgré le désir.

La déception Duris

Il faut l’avouer : si on vient voir Démons, pièce corrosive assez triste, relativement médiocre et peu novatrice, sauvée par le dispositif scénique ingénieux et quelques fulgurances théâtrales, c’est pour son quatuor. Quatre têtes d’affiche de cinéma. Romain Duris est rare sur les planches. Il avait joué du Koltès sous la direction de Patrice Chéreau. Mais ici Duris cabotine, frime, semble à côté de son personnage quand il s’agit de transmettre une émotion, ne l’incarne finalement jamais réellement au point de le rendre caricatural et sans intérêt. Il devient un joueur qui bluffe plutôt que de s’engager dans la partie. On ne comprend jamais le charisme qu’il peut exercer, on ne voit que son égocentrisme. Passons sur sa sexualité, qui ne va jamais bien loin alors qu’elle semble fascinante. De la même manière que son personnage vit dans le fantasme, le comédien préfère son reflet dans le miroir à son personnage sur scène. Pire, un à un chacun de ses partenaires va le dévorer, lui voler les scènes.

Une Foïs inébranlable

Pour sa quatrième collaboration avec Marcial Di Fonzo Bo, Marina Foïs était en territoire familier, pour ne pas dire en terrain conquis. De fait, elle se la joue star, diva clopant sur talons hauts avec des tenus improbables (quand elle porte une culotte). Marina Foïs n’a aucun problème à croquer Duris, son époux dans L’homme qui voulait vivre sa vie d’Eric Lartigau (son mari à la ville). Elle sait moduler la voix, imposer sa présence en marchant, jouer des rythmes du mouvement, être à fleur de peau quand il le faut. Le souci serait surtout qu’elle ne renouvelle pas son jeu (mais là le metteur en scène a-t-il voulu prendre un risque ?) et qu’elle est égale à elle-même, parfois même un peu plus faible qu’auparavant pour qui l’a vue, géniale, dans les pièces de Copi. Marina fait du Foïs. Une femme déséquilibrée entre ses failles intimes et sa foi en l’amour, prête à se faire prendre cuisse ouverte par un bel étalon comme à s’humilier à quatre pattes par son mari. A se donner en spectacle ainsi, elle donne vie, heureusement, aux passages les plus troublants, embarrassants d’un texte qui révèle alors son potentiel psychologique et dérangeant.

La révélation Ulliel

Ce couple donne le titre à la pièce. Ce sont eux les démons. Ils distillent le poison qui va réveiller les démons intérieurs de l’autre couple. Leurs frustrations va se venger de son bonheur malheureux et frustré en insufflant une satisfaction malsaine et une manipulation insidieuse. Pur cynisme, pure destruction.
C’est là que Démons, autrement écrit, aurait pu être bien plus percutant. Mais c’est aussi là que Démons trouve avec le couple Anaïs Demoustier / Gaspard Ulliel ce qui le sauve du désastre, pour ne pas dire d’un carnage. Ulliel a peu d’expérience théâtrale, mais il a été servi d’entrée de jeu par le génial Michel Fau (Que faire de Monsieur Sloane ?). Homme castré par la paternité, étouffé par le schéma boulot-famille-dodo, la soirée chez les voisins va servir de catharsis. Une nuit d’ivresse où tour à tour il est tenté par le diable Duris (la scène des vases, qu’il domine à l’aise) et par la sirène Foïs (en slip, l’animal se dévoile sans complexes). Ce qui frappe chez le comédien, c’est sa prestance, sa beauté, mais avant tout sa facilité à habiter son personnage, sa capacité à le faire évoluer, tour à tour introverti, apeuré, en sueur, en rut. C’est peu de dire qu’Ulliel a pris des épaules. On l’avait déjà remarqué avec Saint Laurent de Bonello. C’est évident avec Di Fonzo Bo. Son Tomas avale l’espace sans aucune pudeur et s’engouffre dans son vertige avec une juste douleur.

Le génie d’Anaïs

Crédible en solo, il l’est aussi en mari de Jenna, aka Anaïs Demoustier. Le duo forme un bel ensemble, ce couple modeste, sans doute marié trop jeunes, étouffé par le quotidien. De loin, elle est la plus belle réussite du spectacle. Pour ceux qui l’ont déjà vue au cinéma, ils savaient que son perfectionnisme et sa précision de jeu en faisaient une grande comédienne. Sur les planches, elle a déjà joué du Victor Hugo, du François Bégaudeau et du Christophe Honoré. Avec Démons, elle nous cueille. sex shop sakarya Elle est l’ange, celle qui va avoir pitié, tel la Piéta prenant la tête de Duris entre ses mains, sur ses genoux. Celle qui pardonne. Mais aussi celle qui se fait piéger par naïveté. Qui perd pied face à tant de mensonges, de dépravation, d’illusions, d’intoxication. Marcial di Fonzo Bo touche à l’état de grâce avec Demoustier, bouleversante quand il lui fait chanter a capella, éclairée par quelques bougies, « I've Been Loving You Too Long » d’Otis Redding…
De quoi atténuer la haine du couple qui se dégage du texte.

- vincy