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AVRIL 2004
LA FOLIE DES GRANDEURS
Ivanov
Une mise en scène de Alain Françon
au Théâtre de la Colline du 18 mars au 30 avril 2004
par Vincy
Ivanov, pièce écrite par l'immense Anton Tchekhov (auteur du plus ample Platonov), s'étire sur 2 heures et demi, dans une traduction modernisée. L'histoire d'un homme qui voit sa femme mourir, et devient l'objet de rumeurs nauséabondes alors qu'il croule sous les dettes.
Malgré un début laborieux, pour ne pas dire ennuyeux, Ivanov prend son élan dès qu'il abandonne les tourments solitaires pour mieux embrasser une critique acerbe de la société bourgeoise (russe mais pas seulement). Entre cynisme et lâchetés, opportunisme et romantisme naïf, Ivanov nous emmène dans un voyage fatal qui nous révèle toutes les failles de l'humain. Qu'il soit vertueux ou cupide, l'Homme est croqué avec lucidité et délice sous ses aspects les moins flatteurs.
Cela ne manque pas d'humour, parfois très noir. Et profiter de ce texte est un plaisir pour l'oreille. Eric Caravaca prouve qu'il est vraiment magnifique; mais on devra quand même s'avouer déçu par un décor un peu désuet et une mise en scène proprement classique. Au point que le jeu des comédiens sonne souvent "Français". On clame les vers, on roucoule avec exhubérance, on ricane avec force. Bref, des costumes à l'intrigue, tout cela ferait presque penser à du Molière.
Hélas pour nous, tout cela est cruellement actuel. De l'antisémitisme à la difficulté d'être sincère et intègre, le texte de Tchekhov tend un miroir (violent) qui nous renvoie l'écho d'une société familière.
PISSER DANS UN VIOLON
Le jardin aux betteraves
Une mise en scène de Jean-Michel Ribes
au Rond-Point des Champs Elysées du 9 mars au 9 avril 2004
et en tournée du 14 avril au 18 juin 2004.
par Vincy
Dans le cadre du festival Dubillard, mélange d'absurde, de surréalisme et de folie individuelle, Jean-Michel Ribes, patron du lieu, nous propose ce Jardin aux Betteraves. Caustique et délirant, ce huis-clos isole 5 personnages en quête d'un mécène, d'un public et d'une éventuelle reconnaissance.
Pièce en deux actes, cela part dans tous les sens. C'est voulu. Pas de ligne directrice, juste le plaisir des monologues et des échanges. Ce qui rend l'ensemble très inégal. Parfois, notre esprit déraille et s'en va contempler cet intérieur d'étui à violon qui sert de décor (impressionnant). D'autres fois, nous sommes captivés par la beauté des mots, les divagations verbales, l'absence de réalisme. Hommage à Beethoven, ce naufrage annoncé ne coulera pas à pic. Car si Julie Depardieu ne nous bluffe pas avec son trop faible filet de voix, François Morel et Pierre Mifsud semblent s'en donner à coeur joie. Bilan mitigé au final. Un peu d'esbrouffe, trop peu de mise en scène, Ribes paraît admiratif d'un texte qu'il respecte trop au point de ne pas avoir assez coupé. C'est comme les betteraves : il faut un assaisonnement pour qu'elles aient un minimum de saveur.
PAS INGRAT
Picasso Ingres
Expo au Musée Picasso
17 mars - 21 juin 2004
par Vincy
Pour comprendre un cinéaste, un musicien ou un peintre, il faut parfois regarder ses modèles, ses références.
L'oeil, alors, s'aiguise. Le regard, enfin, apprend l'analyse. Dans un très bel effort de pédagogie, le Musée Picasso permet, ainsi, la comparaison entre Picasso (donc) et son maître, Ingres. Fascinant de voir les tableaux de l'ancien et la "revisitation" (on ne peut pas dire remake) par le génial disciple. Passionnant aussi de remarque à quel point Picasso a fait ses gammes avec Ingres, pour mieux s'en défaire et créer son propre style. "A travers toutes les formes que le génie espagnol, baroque, extrême, contradictoire, de Picasso a pu essayer et épuiser, une sorte d'unité a été maintenue, et cette unité est due aux éléments que Picasso possède en commun avec Ingres : la prodigieuse invention du dessin, le goût du trait et celui du ton local comme moyens exclusifs d'expression, l'horreur enfin de la matière, de la lumière, de toute substance effusive." (Jean Cassou)
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