Parallèlement, le reste de l'Europe distille les œuvres de ses cinéastes féminines. Propagande oblige, c'est l'Allemagne qui tient le pavé avec quatre réalisatrices particulièrement actives au début du 20 ème siècle : Von Harbou, Riefenthal, Reineger, et Schlesinger.
Théa Von Harbou (1888-1954) est surtout connue pour avoir été la scénariste, maîtresse et épouse de Fritz Lang durand sa période germanique. Romancière de romans à l'eau de rose, elle n'est jamais la dernière à répandre à l'insu de son cinéaste de mari des symboles antisémites plus particulièrement remarquables dans son fameux " Métropolis ". Ralliée au Reich après que Fritz ait très intelligemment fuit l'Allemagne, on ne connaît que deux réalisations à son actif, rapidement disparus dans les limbes : " " Elisabeth und der Narr " en 1933 et " Hanneles Himmelfarth " en 1934.
Le cas de Leni Rifensthal (1902-) est plus complexe. Plus ou moins consacrée cinéaste en C majeur du troisième Reich, Hitler lui confie la mise à l'image du congrès de Nurenberg en 1934 après qu'elle se soit fait remarquer avec un premier long, " La lumière bleue " scénarisé par la génial théoricien communiste et cinématographique tchèque, Béla Balazs. Ce sera " " Le triomphe de la volonté " où cadrages, lumières et démesures seront à l'image du danger en présence. Elle s'illustre par la suite pour le même Adolf avec " Les dieux du stade ", pseudo-retranscription des jeux olympiques de Berlin où pointent déjà ses affinités esthétiques et physiques pour les athlètes africains au corps baigné d'huile… Aujourd'hui centenaire et toujours en vie, elle dément toute sympathie avec le père de l'Holocauste, pour avoir partagé la vie (en partie en exile) avec quelques ethnies égarées dont elle continue de nous faire parvenir des images. Extraordinaire cinéaste, c'est un jour la femme qu'il faudra tôt ou tard juger…
Les deux dernières semblent avoir beaucoup moins de choses à se reprocher : Lotte Reinegger (1899-1981) pour s'être consacrée avant tout au film d'animation dès 1918 et qui a marqué son époque grâce aux " Aventures du Prince Ahmed " (c'est dire…) tiré des " Milles et une Nuits ", où elle utilisait la poésie des ombres chinoises. Quant à Sagan Schlesinger (1889-1974), dite Léontine, les titres parlent d'eux-mêmes et ce fut sans doute un sacré culot pour l'époque : " Les filles en uniformes " en 1931 et " Les hommes de demain " en 1932 ne prônent pas ouvertement une obligation à l'hétérosexualité, ce qu'elle n'a jamais cherché à démentir.
Sans faire pour autant d'association, l'Italie ne nous offre qu'une seule pionnière ouvertement recensée : Elvira Notari (1875-1946). Elle crée en 1909 sa propre maison de production pour réaliser des films de 10 à 20 mètres tournés en extérieur qu'elle colorise à la main. On évalue quelque 60 réalisations à son actif, dont un certain " E'Piccerella " datant de 1921, remarqué pour la construction de son personnage principal.
Mais c'est ignorer qu'ailleurs dans l'Europe, d'autres femmes contribuent à l'apanage de leur filmographie.
En Hollande, par exemple, avec Adrienne Solser (1873-1943), actrice à 10 ans qui passe à la production et la réalisation avec son fils dès 1924 pour des comédies (" Bet, de koningin Van der Jordann "), en Pologne avec Wenda Jalubowska, victime de la déportation, qui réalise en 1947 un premier film sur l'Holocauste au lendemain de la fermeture des camps intitulé " La dernière Etape ", ou en Russie Olga Préobrajenskaïa (1881-1971) qui fut la " Germaine Dulac russe " et Esther Choub ( 1894-1959) qui grâce à des films de montage tels " La chute de la dynastie de Romanov " en 1927 à " Du côté de l'Arax " en 1947 fût la meilleure consoeur d'Eisenstein et Poudovkine sur lequel elle consacrera, d'ailleurs, sur ce dernier, l'un des ses films.
L'angleterre aligne dans les années 50 trois réalisatrices particulièrement actives. Principalement Muriel Box (1905-1991), scénariste, romancière et épouse du producteur réputé Sydney Box, avec lequel elle fonde sa société de production La London Independant Producers avant de réaliser " The Happy Family " en 1952. Mariant humour et comédies de mœurs ou romantiques, elle sait aussi traiter de sujets plus militants tel dans " Street Corner " (1953) où elle soulignait le courage des femmes policières et qui fut l'un de ses plus grands succès. Dans la vague policière à prolongement fantastique, on découvre aussi Wendy Toye, (1917, qui fait ses classes en 1953 sur " L'étranger n'a pas laissé de trace ", auquel succèderont " The Teckman Mistery " (1954), " Un yacht nommé Tortue " (1957) ou " The King's Breafast " en 1968, année de sa dernière réalisation cinéma. En 1982, elle signait encore un téléfilm !. Elle aussi réalisatrice et productrice, Joy Batchelor (1914-1991), elle, se concentre dès 1941 avec son mari Halas sur le dessin animé avec " The Pocket Cartoon ". Ils signent plusieurs films de propagande avant de réaliser en 1954 l'un des premiers longs-métrages d'animation britannique, " La ferme des animaux ", adaptation d'un fameux roman de George Orwell qui satirait le régime nazi. Ils produiront à eux deux plus de 1000 films, éducatifs ou de simple divertissement.
De l'autre côté de l'Atlantique, on ne nous a pas attendu, vous pensez bien. Avec pour commencer le Canada et Nell Shipman (1893-1970) qui se met à produire, interpréter et réaliser ses propres films dès 1920 dans les décors sauvages du Grand-Nord Canadien et des Etats-Unis en mettant en scène de vrais animaux. " Back to God's country " (1919) demeure son grand succès alors qu'elle mettra fin à sa courte carrière dès l'age de 32 ans.
Le cas des U.S.A, dans son âge d'or (entre environ 1940 et 1960), peut se voir résumé par deux femmes, antagonistes quand à la forme, le genre et les sujets traités dans leur œuvre : Maya Edern (1917-1961) et Ida Lupino (1918-1995). La première et aujourd'hui encore considérée comme la mère du fameux cinéma Underground plus tard défendu par Wahrol, Morrissey et leurs pairs. Maya Edern débute en 1943 avec " Meshes of the Afternoon " qui deviendra le fer de lance du nouveau cinéma américain. A l'opposé, Ida Lupino est la quintessence même du classicisme Hollywoodien pour en avoir été d'abord l'une de ses plus fameuses comédiennes. Décrétée un temps " la nouvelle Jean Harlow ", elle tourne pour Alan Dwan, Henry Hathaway, Raoul Walsh, Robert Aldrich, Delmer Davis ou encore Fritz Lang. C'est sur le tournage de " Not Wanted ", dont le réalisateur, Elmer Clifton, meurt au troisième jour des prises de vue, qu'Ida Lupino passe à la réalisation. Elle affectionnait plus particulièrement les films noirs (tel " le voyage de la peur " en 1953) ou les mélodrames (" The bigamist " idem) à personnage féminin . Excessive dans ses intrigues mais pleine de gout, elle aura occupé une place à part dans le cinéma hollywoodien. A la fin de sa carrière, elle réalisera de nombreux épisodes des " Incorruptibles "…
Ainsi s'achève le tour du monde, que l'on imagine non exhaustif, des premières femmes ayant eu recours à la caméra pour exprimer leurs croyances, leurs convictions, leur révolte, leur audace, leur imagination voire même leur supériorité, sinon leur égalité, face à leurs confrères masculins. L'histoire a montré et démontrera encore qu'elles n'étaient que les précurseurs d'une vague d'inspiration dans tous les domaines touchant au 7ème art. A la plus satisfaction des cinéphiles de tous les sexes
Quand à imaginer que le second siècle du cinématographe sera féminin ou ne sera pas…
Arnaud
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