Les années 30, 40 et 50 : l'omniprésence du cinéma masculin
Après des débuts certes faibles en nombre (Alice Guy-Blaché et Germaine Dulac), mais prometteurs et de taille, à quelques exceptions près, le cinéma français est largement masculin. Il y a bien Léontine Sagan (1889-1974) qui, en 1931, réalise Jeunes filles en uniforme. Il y a aussi Jacqueline Audry, qui, après des débuts de scripte auprès de Pabst et d'Ophüls, réalise 17 longs-métrages (dont Olivia en 1950 et les adaptations de Colette : Gigi en 1948, Minnie ou l'ingénue libertine en 1950 et Mitsou en 1956). Sans oublier les anciennes monteuses Andrée Feix (Il suffit d'une fois en 1946 avec Edwige Feuillère) et Denise Tual, la critique Nicole Védrès (Paris 1900, La vie commence demain).
Mais en dehors de ces exemples de transfuges de la technique ou de l'écriture, c'est le grand désert. Notre ami Patrick (Juvet, pas Topaloff) s'interroge : où sont les femmes ? Que ce soit derrière la caméra (comptez les réalisatrices avant Varda et consorts) ou au bout de la plume du scénariste, ces dames se font rares en matière de création cinématographique. Et la prédominance masculine est réelle.
Durant ces années de quasi monopole, la vraie présence de la femme est à l'écran et à travers le regard masculin. Dans les films, elle n'est quasiment jamais le personnage principal et sa vision répond à des codes émanant de la gent masculine : la femme fatale, l'épouse modèle, la femme infidèle… On assiste au règne de la femme-icône qui est définie la plupart du temps par rapport à l'homme. Souvent, elle sert de faire-valoir au personnage masculin qui lui, est au centre de l'intrigue. Sa retranscription est avant tout sur un modèle créé par et pour les hommes et la féminité décrite est subjective et non universelle. C'est ainsi le règne des garces (Ginette Leclerc dans Le Corbeau d'Henri Georges Clouzot, 1943), des jeunes ingénues (Brigitte Bardot dans En cas de malheur de Claude Autant-Lara, 1958), des faire-valoir de gangsters (Jeanne Moreau dans Touchez pas au grisbi de Jacques Becker, 1954). Le cinéma dit de " papa " fait la part belle au stéréotypes. Bien-sûr, il y a toujours des exceptions (comme Le Diable au corps de Claude Autant-Lara en 1947), mais la règle générale veut que la définition de la femme à l'écran soit plutôt subjective et d'une subjectivité toute masculine.
A partir de la fin des années 50, le cinéma suit l'évolution de la société et celle de la place des femmes.
La société est en marche. En 1949, Simone de Beauvoir publie Le Deuxième sexe, livre fondamental pour la condition féminine. Une dizaine d'années plus tard, les choses cangent et la place des femmes aussi.
A l'écran.
Peu à peu, on passe de la femme-icône à une vraie femme. Quelques films montrent une femme différente. C'est ainsi qu'en 1956, Roger Vadim, avec Et Dieu créa la femme, propose une nouvelle représentation de la femme et en donne une autre perception cinématographique. On est ici devant une femme affranchie du joug et du regard masculins, ce qui est loin d'avoir été le cas par le passé. Le personnage de Juliette, interprété par Brigitte Bardot, est un personnage certes sensuel, mais d'une sensualité brute et universelle qui n'est pas définie uniquement par rapport à un modèle masculin. Juliette sait ce qu'elle veut et ce qu'elle ne veut pas, mais c'est toujours par rapport à elle-même. Elle sait qu'elle aime (le peu respectueux Antoine Tardieu interprété par Christian Marquand) et qu'elle en devient ainsi faillible. Mais sa fierté la pousse à lutter contre cet amour. Elle n'est pas vénale et se refuse au riche Eric Carradine (Curd Jürgens). Enfin, elle est sincère dans ses relations avec Michel Tardieu (le frère d'Antoine interprété par Jean-Louis Trintignant) qu'elle veut épargner. Nouveauté dans le paysage de l'époque, Juliette est presque un personnage libre, au même titre que pourrait l'être un personnage masculin. Elle n'existe plus simplement par rapport aux hommes, mais devient un personnage à part entière.
D'autres exemples montrent que la société change et que les femmes prennent progressivement une place plus objective au sein de la création cinématographique. C'est ainsi la sortie de plusieurs films de Louis Malle (Ascenseur pour l'échafaud en 1958, Vie privée en 1961, Viva Maria en 1965), de Jean-Luc Godard (Vivre sa vie en 1962), d'Alain Resnais (Hiroshima mon amour en 1959) et encore Roger Vadim (Les Liaisons dangereuses 1960).
Derrière la caméra.
La fin des années 50, et plus encore le début de la décennie suivante, voient les femmes progressivement prendre une place réelle dans la société. Dans ce cadre, et peut-être en partie motivées par la représentation de la femme à l'écran (donner à voir des personnages féminins différents), les femmes passent derrière la caméra.
En 1956, Agnès Varda filme La Pointe courte, l'histoire d'une séparation. En 1962, précurseur d'une nouvelle vague féminine, elle tourne Cléo de 5 à 7, dans lequel une jeune chanteuse attend les résultats de ses analyse et craint d'avoir un cancer. Dans son film, la réalisatrice, alors âgée de 34 ans, dépeint un personnage féminin qui se définit par rapport à elle-même et à sa crainte de la maladie. L'homme n'a ici rien à voir avec son élaboration. Tout cliché homme-femme en est éloigné. Ce personnage a sa légitimité propre qui se passe de tout tuteur masculin. Cléo est une réelle figure féminine objective. Sa féminité n'émane pas d'un homme mais d'une réalisatrice qui s'est quelque part projetée dans son héroïne. Et quoi de plus naturel pour une cinéaste de mieux se projeter dans un personnage féminin et, pour un réalisateur, dans un héros masculin ?
[ Top ] / [ Suite ]