(C)Ecran Noir
 1996-2001

 GFX: PETSSSsss
 TXT: Vincy
 IMG: Galatée Films

  

Critique

CA PLANE POUR SOI

Le peuple migrateur souffre d'un énorme défaut : il se veut film alors qu'il est un documentaire haut de gamme. Certes nous n'apprenons pas grand chose, et nous ne sommes pas là pour voir une réalisation pédagogique du National Geographic. De même, c'est bien plus vivant que n'importe quel cours de sciences naturelles. Mais on cherche une histoire, un scénario un peu plus épais que ce rituel aller et retour saisonnier au dessus du globe. La caméra se disperse entre toutes ces espèces, ne s'attache à aucune, et sur la fin, nous cloue sur le sol antarctique , avec des pingouins qui ne volent pas.
La production de Jacques Perrin subit en fait un périlleux déséquilibre où nous nous envolons vers le nord, avec émerveillement, et où nous nous endormons vers le sud, avec lassitude. Du lyrisme, on passe au surplace. De la découverte grandeur nature, on s'enlise dans la banalité d'un parcours attendu. La migration vers le sud est porteuse d'émotions et d'horreurs, avec de nombreux obstacles violents pour de rares survivants : aucun ne sera épargné (ailes cassées, pétrole, chasseurs...), les menaces sont nombreuses (moissonneuse batteuse, avalanches, troupeau de chevaux, pièges à zoo). Pourtant, la chronologie des événements, l'absence de tension et de dramatisation rend l'image simplement démonstrative, expéditive même, et conduit Le Peuple Migrateur à devenir un musée en images pour la sauvegarde d'un patrimoine mondial de l'Humanité.
Mais ce n'est pas la seule chose (d)étonnante du film. Car au delà des paysages grandioses et magnifiques (Monument Valley, Sahara, Forêt canadienne en automne, l'affreuse aciérie d'Europe de l'Est...), de vrais clichés photographiques à peine dépaysant, on remarque l'absence d'êtres humains, à deux exceptions près. Les oiseaux esquivent la présence humaine. Les villes sont de simples décors. La rencontre n'aura pas lieu, ou si peu. Partageons-nous une même planète en s'ignorant autant? Bien sûr les Bernaches sont de vrais personnages en soi, d'autres espèces sont comiques sans le vouloir, les Cigognes sont horripilantes, bruyantes et méchantes, et les Grues du Japon, gracieuses, effectuent un ballet aquatique. Il y a peu d'effets spéciaux hormis ces vues spatiales de la terre. Le travail humain en amont du film est remarquable, et constituie à lui seul un effet spécial; surtout lorsque les oiseaux volent vers la Tour Eiffel, au dessus du Mont Saint-Michel ou devant les tours jumelles du défunt World Trade Center. Le cinéma trouve alors son rôle de mise en scène. Il nous ébahit. Parfois, on assiste à une succession de plans surréalistes, comme si on avait superposé une espèce d'oiseau sur les belles doubles pages de GEO Magazine.
Le film est hélas trop souvent inégal. Son récit décomposé nous fait décrocher, parfois. Sa musique est tantôt un soutien bienvenu, tantôt insupportable. On passe brièvement sur une Sterne Arctique capable de joindre les 20 000 kms séparant les deux pôles et on s'attarde sur des pingouins faiblement nomades. De même il est suprenant que les réalisateurs n'aient pas profité des atrocités de l'Erika alors qu'ils ont su filmer un porte-avion militaire en rocher hospitalier pour oiseau voyageur. Parfois l'effort physique est très bien rendu, la perfection du son aidant grandement à ressentir l'épreuve, les battements de l'aile. On subit les tempêtes de neige, on a mal pour cet oiseau englué dans le mazout, on sursaute au bruit soudain d'un fusil qui fait tomber à pic ses victimes. C'est parfois insupportable et pourtant les images s'obstinent à vouloir rester belles, distantes, glacées.
Ce décalage permanent, qui empêche le spectateur de mieux connaître les oiseaux, lui permet, malgré tout, de les admirer comme jamais; une expérience qui prend tout son sens, lorsqu'on constate que ce monde n'a pas de frontières et vit au rythme de cycles immuables.

Vincy