Production : Warner Bros., Village Roadshow, Jerry Weintraub, Section 8
Distribution : Warner Bros.
Réalisation : Steven Soderbergh
Scénario : George Nolfi
Montage : Stephen Mirrione
Photo : Peter Andrews (Steven Soderbergh)
Décors : Philip Messina
Musique : David Holmes
Directeur artistique : Tony Fanning
Durée : 125 mn
Casting :
George Clooney :Danny Ocean
Brad Pitt :Rusty Ryan
Matt Damon :Linus Caldwell
Catherine Zeta-Jones :Isabel Lahiri
Andy Garcia : Terry Benedict
Don Cheadle : Basher Tarr
Vincent Cassel :François Toulour
Bernie Mac : Frank Catton
Bruce Willis :Bruce Willis
Julia Roberts :Tess Ocean
Ocean's 12 (Ocean's Twelve)
USA / 2004 / Sortie France le 14 décembre 2004
Terry Benedict a été remboursé par l'assurance. Mais son orgueil en a pris un coup. Grâce à un mouchard, il retrouve la piste de la bande des 11 types qui ont braqué ses 3 casinos. Un à un, il revient vers eux et leur demande le remboursement de leurs dettes, plus les intérêts. En 15 jours.
Mais voilà, les 11 ont claqué leur fric ou se sont reconvertis. Ils doivent donc se remettre au travail. Grillés aux States, ils s'expatrient en Europe. Rusty a un plan du côté d'Amsterdam. Il y croise une vieille connaissance, Isabel, flic à Europol, chargée des cambrioleurs de haut vol, et petite amie il y a 3 ans.
Comme si cela ne suffisait pas, un gentleman cambrioleur français se met sur leur route. Le Renard de la Nuit arrive un peu avant eux sur chaque coup.
L'étau se resserre et pire, certains membres de l'équipe sont égarés ou emprisonnés. La dette se rembourse difficilement... C'est alors que Linus, qui rêve de devenir un Danny Ocean, a une idée : voler l'oeuf de Fabergé avec l'aide de Tess dans le rôle de ... Julia Roberts.
Ê
2001. Une réalisation de Steven Soderbergh empoche 450 millions de $ dans le monde. Ce qui en fait un des films les plus populaires des années 2000, dépassant, par exemple, Pearl Harbor ou Men in Black II. Logique que l'on remette ça 3 ans plus tard. Avec 30 millions de $ de plus (principalement à cause des déplacements entre les différentes capitales européennes) Ocean's 12, douzième long métrage du cinéaste, a coûté environ 115 millions de $, hors frais de marketing. Soit moins que ce que doivent rembourser les onze brigands à Terry Benedict.
Le décor change : Amsterdam, Rome, Paris, le Lac de Côme (dans la villa de Visconti), la Sicile et quelques villes US. Il fallait réunir et faire voyager un casting pris par d'autres engagements dans les 77 jours de production. Casse-tête. Le printemps 2004 a été un festival de rumeurs, d'anecdotes et de news people qui ont nourrit les rubriques potins et fait vivre les paparazzi. Le film s'est construit sur un scénario imaginé par George Nolfi - une duel entre le plus grand voleur américain et son rival européen - à l'origine écrit pour un film de John Woo. Le résultat final est donc un métissage entre les idées de Soderbergh, les contraintes d'une suite avec des personnages pré-existants et ce script, "Honor among Thieves".
Sortie quasi simultanée au niveau mondiale quelques mois plus tard, c'est l'un des hits de la saison. En France, le défi sera de ne pas être trop éloigné des 4 700 000 entrées du premier opus.
Si la suite ne marquera pas la carrière des stars et du cinéaste, c'est simplement parce que Ocean's 11 aura été charnière pour quasiment tout le casting. Il a permis à Soderbergh de s'attaquer à des projets plus persos, le raté Full Frontal (avec Julia et Brad) et le très beau Solaris (avec Clooney). deux échecs au Box Office. Clooney s'est lancé dans la réalisation (avec panache) et a surtout développé ses projets en tant que producteur . On l'a vu chez les Coen (nickel) et dans Solaris. Il a gagné en liberté. Rien à voir avec le parcours de Brad Pitt, qui sort d'un triomphe mondial avec Troy (500 millions de $ dans le monde) et qui sera du prochain Doug Liman, réalisateur du premier Jason Bourne, incarné par... Matt Damon (admirez la transition!). Passant de Van Sant (avec Casey Affleck, au générique des deux Ocean's) aux Farrelly, l'acteur a aligné lui aussi un beau succès cette année avec La Mort dans la peau(280 millions de $ dans le monde). On le verra chez Gilliam et vraisemblablement chez Scorsese dans les prochains mois. Pas si mal. Don Cheadle n'est pas en reste. Il est devenu un comédien de premier plan. Second rôle dans After the Sunset ou The Assassination of Richard Nixon, il tient le haut de l'affiche d'Hotel Rwanda, chouchou des critiques cette année en Amérique (et Prix du public au festival de Toronto). Même ascension pour Bernie Mac, nouveau Charlie des Drôles de Dames, étrange Gin dans Bad Santa, et remplaçant de Spencer Tracy dans un Qui vient dîner ce soir inversé.
On découvre aussi Topher Grace (gloire montante depuis "That's 70's show"), Vincent Cassel (qui sort de quelques bides), Albert Finney (récemment Big Fish de Burton) ou encore Bruce Willis, qui n'a rien tourné de bon depuis The Sixth Sense (1999), dont il est fortement référence ici.
Reste les ladies. Catherine Zeta-Jones doit sa crédibilité hollywoodienne à Soderbergh avec son rôle dans Traffic, avant d'obtenir son Oscar pour Chicago, de tourner pour Spielberg, ou de partager les génériques avec certains Clooney, Pitt, ou Roberts... Julia, justement, star féminine la mieux payée d'Hollywood, vient d'accoucher. De deux films. Le Soderbergh (elle lui doit son Oscar) et le Nichols (Closer). En attendant la pause bébé.
En 2005, Garcia sortira son premier film de réalisateur, Clooney s'attaquera à son second film, et Soderbergh réalisera Che, sur un scénario de Terrence Malick, avec Benicio del Toro et Javier Bardem. Rien que ça. Ce sera le Soderbergh's 13.
LES BRONZES FONT DU CINEMA
"- Je n'ai jamais été à Amsterdam.
- Il parait que les Allemandes sont bonnes."
Un film de casse? Un film de cast! Si l'on considère le cumul des cachets de ses stars, le véritable hold up est du côté des coulisses : c'est Warner qui a du se faire plumer. On a du lui vendre une suite, un film à suspens, le casse des casse, et quelques bonus pour pimenter le marketing. Au final, nous voici avec une comédie aux frontières du pastiche, un film de potes en vacances, une série de clins d'oeil et une véritable mise en abîme du blockbuster hollywoodien (et de ses règles).
Pour les spectateurs normaux, le film apparaîtra au mieux comme une aimable comédie rythmée et bien foutue, au pire comme un film sans histoire. Pour les initiés, cinéphiles et autres passionnés, Ocean's 12 s'avérera une expérience bien différente. Un film à clefs, un jeu de piste, une multitude de références et une source d'auto-dérision. Soderbergh, à l'instar d'un Joe Dante avec Gremlins II, massacre (avec élégance) les codes de la sequel hollywoodienne, les contraintes de la super-production. Pour montrer quoi? Qu'il sait maîtriser le langage cinématographique? On le savait déjà. Qu'il sait mélanger Scorsese, James Bond (les premiers) et autres films issus de la Blaxploitation? Qui l'ignorait? Flashy et stylé, musical et bavard, Ocean's 12 est avant tout grand public : pas de sang, pas de sexe, pas de suspens. Pourtant il y a l'odeur du crime, le parfum de la romance et un dead line à respecter (le compte à rebours est là pour nous le rappeler, jusqu'au moment où le cinéaste manipule le temps à notre insu). Le film est en fait bien plus conceptuel et cérébral qu'on ne le croit. Et tient en trois scènes.
Première scène : Brad Pitt. Il ouvre le film. Il embrasse un nouveau personnage, Catherine Zeta-Jones. Bisou. Et pourtant ça sent déjà le roussi. Est-elle le douzième membre? C'est la seule question qui sous tend l'ensemble du film. Qui sera le douzième homme?
Seconde séquence, vers le milieu du film. Dialogue entre Matt Damon et Brad Pitt. Pitt ne répond pas aux questions de son acolyte. Il n'expliquera rien, ne dira rien. Texto. Et de fait, il gardera pour lui les explications et les justifications. Damon se moque avec enfantillage de tous ces mystères. Il a tort. Car ils resteront mystérieux : le spectateur n'en saura pas davantage. Les "trous" apparents du scénario sont dans la tête du personnage de Pitt. Soderbergh nous a prévenu. Après tout, en dix secondes, on retourne un méchant avec un secret susurré à l'oreille, dont on ne saura jamais rien. Il faut accepter ce postulat.
Troisième clap, à la fin du film. Pitt révèle qui est le plus grand des voleurs. Et il renvoie à la première scène, puisque Zeta-Jones y trouve la réponse à son existentielle question. Le film s'ouvre et se ferme sur le même couple. C'est l'histoire d'un duo impossible, la flic et le voleur, d'une histoire d'amour irréaliste. Pas de prénoms. On est en terrain familier.
Le reste n'est qu'un prétexte, du second degré, une belle nonchalance. Mais quelle excuse pour se moquer d'eux-même et de leurs employeurs respectif
Constatons.
Clooney est en haut de l'affiche? Rarement star n'a aussi peu à dire, à jouer et à faire... Sa première scène annonce la couleur, répétition d'Out of Sight : il est à la retraite. Il ne se préoccupe que de son apparence et quand il parle, c'est souvent dans le vide.
"- Tu me donnes 50 ans?
- Oui.
- Vraiment?
- Enfin, juste au dessus du cou."
Damon est devenu une star de premier plan avec les Jason Bourne? Il réclame un rôle plus central (il l'aura) mais devra passer par une séance de bizutage. Bruce Willis avait refusé de jouer dans le premier? Il a un rôle primordial dans le second. Topher Grace vient de jouer avec Dennis Quaid, dans un film qui n'est pas encore en salles? Il s'invite dans une scène et s'excuse d'avoir été si nul face à Quaid!
Mais le meilleur concerne Julia Roberts. Enceinte dans la réalité d'un certain Danny Moder, la star incarne ici Tess (à peine maquillée, déglamourisée, sortie de Full frontal), mariée à un autre Danny (Ocean). Imaginez le quiproquo lorsque Tess doit jouer Julia, pour la réussite d'un vol de haut calibre. Julia incarne Tess qui joue Julia. Et cela devient absurde quand Tess, c'est à dire Julia, téléphone à Julia Roberts... Sacré challenge : comment jouer Julia Roberts, quand on est Julia Roberts. Mais jouent-ils vraiment? Ils donnent plus l'impression de s'amuser. A moins qu'on ne regarde un making of.
Ocean's 12 n'est qu'une compilation de non sens. Un jeu de rôles démultiplié. Aucun des hold up ne fonctionne. Ils sont soit invraisemblables (pour ne pas dire énormes), soit rapidement racontés. Le seul casse qui compte est résumé en fin de film, façon flash back. Ils sont douze? Très rapidement, Soderbergh les fout hors course un par un. Bref l'arnaque est permanente. Après tout, cette suite n'existe que parce qu'Andy Garcia, hilarant en méchant, veut récupérer son fric, alors qu'il s'est fait remboursé par les assurances. Il veut "doubler la mise". Le cinéma n'est qu'un casino. Garcia symboliserait-il Warner? Et dans ce cas comment interpréter l'ultime plan avec Garcia?
Car Soderbergh n'a rien d'un innocent, obsédé par le sens des images et des mots. Dans ce jeu de miroir, Zeta Jones, enceinte sur le tournage de Traffic, passe la grossesse à Julia. Zeta Jones poursuivait un voleur dans Haute Voltige ou était mariée à Clooney dans Intolérable Cruauté? Elle se retrouve dans les bras de Brad Pitt - puisque Clooney est avec Julia. Pitt, quant à lui, était marié à Julia dans Le Mexicain. Naturellement, Roberts et Zeta Jones étaient soeurs dans une autre vie (America's Sweetheart). On en rajoute une louche avec la présence d'Albert Finney, mentor de Julia "Erin Brockovich" Roberts, et ici fortement lié à l'autre "girl". Bref ce joyeux mélange des genres dévoile un inceste avéré entre les différents membres de la famille Soderbergh (avec les liens du sang au coeur de la psychologie de deux des personnages). Car c'est bien une production "familiale", avec le clan et les étrangers (Cassel, Garcia), dans une Europe aussi toc que les imitations de Las Vegas. Cluedo en couleurs, où les voyantes ne prévoient rien et les bracelets kaballistiques portent malheur, Ocean's 12 est un détournement facétieux du genre, un contournement malin d'une commande destinée à augmenter les profits d'une multinationale.
Soderbergh n'a plus rien à ajouter. D'ailleurs il n'avait rien à dire, c'est bien là un aveu d'impuissance. Même les stars, filmées comme des demi dieux, n'ont rien de plus que nous, misérables humains : les enfants de Bruce Willis n'ont-ils pas des serviettes Bob L'éponge, comme les nôtres? Film d'anti-héros, ces "indestructibles" ne veulent pas changer le monde, mais juste vivre peinards. Allégorie sidérante du rôle du 7ème art dans notre civilisation actuelle. Un film pour rien, tous pour un film. Le tout serait de rester cool.