les nuits fauves de cyril collard

J'ai du voir Les Nuits fauves dans les 2-3 semaines qui ont suivi sa sortie. Il est certain que la coïncidence entre ma vie d'alors et ce film a beaucoup contribué à l'écho qu'il a provoqué en moi. Echo forcément disproportionné, avec un peu de recul. Cependant, si le Grand Bleu correspond à un film de génération pour beaucoup, Les Nuits Fauves transformait radicalement ma vision du monde, des gens. Ce n'est pas ce que j'ai vu qui me "choqua". J'avais des amis "pédés" comme ils disent. Beaucoup plus de filles qu'on ne le croit sont confrontées à un petit ami soudainement bi puis homo. Les quartiers sordides de Paris ou de n'importe quelle autre métropole du monde sont souvent connus, et les gestes furtifs qui s'y produisent, les regards allumeurs, les actes animaux, sont difficiles à ignorer. A moins d'être naïf ou cloisonné dans sa banlieue de pavillons, à regarder les émissions de variété du samedi soir.
Ignorance. Non, ce qui changea mon attitude, ce qui m'entraîna à aller vers des personnes différentes, à renouveler mon entourage, c'était les réactions à ce film. Innocemment je l'avais conseillé à beaucoup d'ami(e)s. La plupart détestèrent. Ils étaient souvent catégoriques, en ressortaient avec un vrai malaise. Leur morale, leurs tabous, leur étroitesse d'esprit n'avait pas pu résister à autant de révélations: le sida, la bisexualité, le sado-masochisme, l'amour extrême, la violence sous-jascente, le fétichisme, sans parler de la scène sur les quais de la scène, à base d'urine, de sodomie et de fellation... Bref rien de très anormal si on regarde le nombre de sites persos consacrés au cul dans tous ses états, si on observe les chiffres du marché de l'érotisme et de la pornographie, si on analyse les tendances actuelles en terme de sexualité. A la rigueur, en voyant les films d'aujourd'hui (J'aimerais pas crever un dimanche, Seul contre tous, Sitcom...) on trouve Les Nuits Fauves bien soft. Pas de quoi se scandaliser.
Intolérance. Les spectateurs étaient donc divisés en 3 catégories: les naïfs purs vierges et innocents. Ceux qui baisent en missionnaire avec les chaussettes et dans le noir. Les critiques parisianistes qui médisaient sur le style facile, l'absence de fond, et criaient à la trahison de l'esprit de la nouvelle vague, et enfin tous les autres. Les "autres", les pestiférés qui osaient aimer ce film, regroupaient des cinéphiles, des critiques (dont Studio Magazine), des spectateurs français en mal d'un renouveau du cinéma frenchy.
Place aux jeunes. Déjà en 92 on parlait de Label Qualité pour des films en costumes (Indochine, L'Amant, 1492, ...) ou des oeuvres bourgeoises (La Crise, Un coeur en hiver, ...). Malgré sa diversité, ses très bons films, le cinéma français manquait de punch, de vivacité, de fraîcheur. Les moyens ne manquaient pas pour des films à star, des scénaristes connus, des cinéastes réputés par 10 ou 20 ans de carrière. Dans le Top 30 des années 89-92, seuls Un monde sans pitié et La Discrète ont réussi à s'imposer au public en tant que premier film.
Jusqu'aux Nuits Fauves qui réveilla le cinéma indépendant, c'est à dire les petits producteurs, les projets audacieux, les sujets d'époque, et des styles originaux. Ça donnera les Kassovitz et les Klapish, Delicatessen et Dobermann en dérivés BD, La Vérité si je mens ou Pédale Douce dans le registre comédie, Western, La Vie rêvée des anges...
Romane accompagnatrice. Le film dopa la carrière de son ambassadrice, Romane Bohringer, devant remplacer un Cyril Collard malade auprès des médias. La fille de, imposée par le papa, devînt son meilleur atout. De la sortie du film à la soirée des Césars, la France découvrait une jeune fille de son temps, naturellement prête pour les spotlights. On parla du virus, enfin. Le Sida entrait dans les peurs communes, comme le cancer. On parla homosexualité et bisexualité, aussi. La France, toujours en retard en terme de moeurs et de société, s'ouvrait enfin à son époque. On attend encore le film français sur la drogue...

Et le film en lui-même?
Flamboyant plaidoyer amoureux, il est à l'image de son auteur: torturé, vivant, optimiste, sombre, beau et poétique, destructeur et pathétique.
Sa force réside toujours dans les scènes choc (la plupart entre Carlos Lopez et Cyril Collard) et l'interprétation de Romane Bohringer. Il est surtout l'un des meilleurs films concernant la bisexualité et donc cette incapacité à choisir (trancher?) entre deux amours, cette liberté de vouloir tout quitte à tout détruire.
Collard a su filmer les détails du quotidien (avec des scènes casse-gueule comme la soirée entre amis) et les thèmes qu'il voulait aborder (sexe, extrême droite, problèmes de communication, ...). Le tout soutenu par une double histoire d'amour, l'une trop visible, l'autre inavouée. Dans les deux cas, passionnelle. C'est d'ailleurs ce choix de raconter l'amour plutôt que ce qui l'entoure qui permet au film de garder son intérêt.
Concernant le style, ce qui nous semblait osé est devenu plus banalisé. Depuis 2,3 ans le style du film se retrouve dans d'autres longs métrages. Ce mélange de caméras à l'épaule, de cadres de traviole, de montage rapide, de lumière quasi documentaire est devenu plutôt courant. Des gens comme Masson reprennent aussi cette esthétique crue que Collard a popularisé.
Ce qui étonne en fait c'est que le film n'est pas tant vieilli que ça; peut-être justement parce que Les Nuits fauves demeure un OVNI dans le paysage cinématographique français, tant par son sujet que par son ambition.
On continue de faire des films léchés et costumés à 70 millions. Mais combien de petits films aussi libres, aussi fous?
Combien de films français qui reflètent notre société urbaine, nos névroses de fin de siècle, nos fantasmes de solitaires ultra modernes?
En même temps, est-ce que Les Nuits fauves n'a pas été victime d'un succès inaproprié (et ce serait tant mieux)? La maladie de son auteur-réalisateur, en phase terminale, la sur-médiatisation de l'oeuvre, tout a permis au film, comme plus tard pour La Haine, de devenir un hit imprévisible. Un succès qui n'aurait jamais du avoir lieu. Mais comme pour La Haine (César du meilleur film), Les Nuits Fauves ont été en parfaite symbiose entre un problème de société majeur et grand public (comprendre: arrêtons de faire les autruches, ça existe) et le moment où le film est sorti.

7 ans plus tard. Les Nuits Fauves n'étaient peut être pas le meilleur film de l'année. Sûrement l'un des meilleurs. Mais assurément celui qui aura le plus marqué. Le seul qui aura été en phase avec son environnement, qui a osé créer un débat de société. Un film qui remue et provoque un tournant mental dans sa communauté.
Cinématographiquement, il reste un des films français populaires les plus originaux de la décennie, et finalement une oeuvre controversée mais utile. Il n'a peut être plus la fugue et la dureté qu'on lui louait en 92. Mais il garde une certaine sincérité dans son propos et une caméra singulière. Bref, nettoyé de sa polémique et de sa médiatisation, Les Nuits fauves reste un film moderne, plutôt bon, et un des César les moins académique. Une oeuvre encore en vie.

Texte par Vincy Thomas

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