Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24


ARP  

Production : Big Pictures Media Corporation
Distribution : ARP selection
Réalisation : Mark Achbar, Jennifer Abbott
Scénario : Joel Bakan, Harold Crooks, Mark Achbar, d'après le livre de Joel Bakan
Montage : Jennifer Abbott
Format : 1.85, Dolby SRD
Musique : Leonard J. Paul
Effets spéciaux : archives : Paul Sawadsky
Durée : 145 mn
 

Mikela J. Mikael : commentaires
 

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The Corporation


USA / 2004

29.12.04
 

1997. Le cinéaste (et fils d'homme d'affaires) Mark Achbar - qui préparait un documentaire sur la mondialisation - rencontre l'écrivain Joël Bakan (avocat et professeur de Droit). Celui-ci venait d'écrire "Just Words", sur les limites des droits de l'homme et souhaitait s'attaquer aux pouvoirs de l'entreprise. "Nous nous sommes dit qu'il serait intéressant de regarder l'entreprise comme une institution : j'allais donc écrire le livre et nous allions simultanément mettre le film en route".




Le livre s'intitule "Psychopathes & Cie" (éditions Transcontinental). L'entreprise est une personne morale, aux yeux de la loi. Une personne meurtrière, égocentrique, superficielle, manipulatrice, irresponsable, amorale. "En faculté de droit, vous enseignez que l'entreprise est une personne. Vous leur enseignez aussi que selon le principe d'exploitation, elle doit servir son propre intérêt. J'ai réuni ces deux idées et je me suis demandé : "Quel genre de personne n'est programmé que pour servir son propre intérêt ? Pour ne pas se soucier des autres, pour ne pas ressentir de culpabilité ?" C'est un psychopathe." Les cinéastes ont utilisé les critères employés dans le texte de l'OMS et le DSM-IV, l'outil diagnostic standard des psychologues et des psychiatres, et ont demandé au Dr. Robert Hare, l'expert mondial en psychopathes, d'appliquer et de légitimer ces notions dans le monde de l'entreprise.
De quoi effrayer les chaînes de télévision, qui rejettent le projet. Il faut le concours de Banff pour qu'ils obtiennent un premier financement. Durant ce temps, Achbar filmait avec une DV manifestations et interviews. Trois ans et demi ont passé afin de boucler le financement. Jennifer Abbott, monteuse, rejoint le duo. Le trio souhaitait "établir une esthétique globale pour le film." Car la particularité du projet est la simultanéité de l'écriture du livre et de la réalisation du film. 800 pages de retranscription d'interviews, soit un montage préliminaire de 33 heures. Ces interviews sont la colonne vertébrale du film, le fil conducteur tant pour l'émotion que pour le propos. Mais la monteuse a souhaité illustrer tout le reste avec des "scènes secondaires" qui donnent finalement le ton, la couleur du film, soit des archives de films, de télé, des séries B, des créations graphiques...
The Corporation s'aligne dans la veine du documentaire "divertissant" à l'américaine, façon Michael Moore ou Super Size Me. L'illustration est souvent en rapport direct avec les métaphores employées lors des interviews, plus qu'une simple traduction de la représentation de l'entreprise. Mais le plus difficile ne fut pas de trier les heures d'archives, mais bien les 70 interviews (dont 40 dans le film). Dans le livre, le PDG d'Interface, Ray Anderson est à peine mentionné. Dans le film, il devient une star. De même, les journalistes virés par la Fox pour ne pas avoir changé le montage de leur reportage contre Monsanto devient un chapitre à part entière du documentaire.
Mais le plus important, pour le livre comme pour le film, était d'explorer des pistes, des solutions, élément plus rare dans ce genre de films souvent didactique, rarement prospectif ; améliorer la réglementation, renforcer la démocratie, rejeter le néolibéralisme, créer une sphère publique à toute épreuve,
L'autre force du film est sa palette de témoins parmi lesquels l'écrivain Edwin Black (IBM et l'Holocauste), le professeur du MIT Noam Chomsky, des étudiants universitaires sponsorisés pour couvrir leurs frais de scolarité, la porte parole de Celebration (la ville Disney), le prix Nobel d'économie Milton Friedman, l'ancien PDG de Goodyear Sam Gibara, la célèbre auteur de No Logo, Naomi Klein, le Vice Président de Pfizer Tom Kline, l'ancien Président de Royal Dutch Shell Sir Mark Moody-Stuart, un activiste Bolivien pour se défendre contre la privatisation de l'eau, un espion économique, une écolo Indienne des historiens et théoriciens et bien entendu Michael Moore (interviewer du Président de Nike, Palme d'or, dénonciateur de l'entreprise dans The Big One). Avec eux on entrevoit les conséquences de la politique du profit, l'absence de culture, la notion d'éthique, la capacité de rébellion des gens, les conséquences de l'industrialisation....
Après tout, l'entreprise n'a que 150 ans en tant qu'Institution. Omniprésente, dominante, à l'instar du communisme, elle peut-être renversée. Bakan cite Marx, à ce propos : "La compréhension du monde est la première étape vers son changement". Ce n'est qu'une pièce du puzzle, et pourtant elle prend toute la place aujourd'hui. La personne morale est un concept créé par des avocats d'affaire. Le monstre leur échappé des mains. En détournant le 14 ème amendement de sa véritable nature (l'affranchissement des esclaves), ils ont permis à l'entreprise de ne plus avoir de devoirs envers la société. Elle a les droits d'une personne sans en avoir les obligations. Une personne morale sans morale.
La lutte n'est plus celle de classe mais bien entre l'individu et l'entreprise. La défiance peut avoir des effets dévastateurs, en déstabilisant l'un des fondements de l'économie, l'outil de production. Seul l'actionnaire compte. le citoyen est oublié. Les résultats financiers l'emportent sur le bien public. Ca n'est en rien une loi de la Nature. C'est bien une création abstraite de l'homme, et autodestructrice. Principales cibles : l'industrie pétrochimique, la pharmacie, Monsanto et ses OGM. Tous ceux qui brevettent ou détruisent l'environnement comme si la possession devenaient l'ultime richesse. Même la chanson Joyeux Anniversaire est une propriété de Time Warner.
Violer une loi coûte parfois moins cher qu'obéir aux règles. Tout se marchande. L'environnement est dénué de valeur, donc il n'existe pas aux yeux des décideurs. Qu'il ne faut pas confondre avec l'individu. La schizophrénie des PDG est, à ce titre, le constat le plus sidérant du spectateur. Responsables mais pas coupables?
A voir la collusion des multinationales avec les régimes les plus tyranniques, leur conquête d'organisations comme l'ONU, au même titre que les Etats, on pourrait en douter. D'où l'utilité d'un tel débat, et l'émergence d'une résistance (défense des services publics, critique de l'ultra libéralisme, naissance du concept flou de développement durable). Il manque juste les Gandhi, Luther King et Mandela. Mais il a suffit de suffragettes pour stopper des libertés sans cesse bafouées.
Si le film n'a rapporté que 2 millions de $ au Box Office américain, il a remporté nombre de prix dans les festivals, la plupart décerné par le public : Sundance, Amsterdam, Philadelphie, Toronto, Vancouver... Preuve d'un réel engouement, d'un début d'interpellation? Le livre et le film s'accompagne d'un site web, source intarissable de liens et de références utiles pour votre information. L'idée n'est pas de renverser l'entreprise. Mais bien de la changer de l'intérieur, pour notre bien à tous. Un peu comme s'il fallait intégrer socialement Frankenstein.
 
vincy
 
 
 
 

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