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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Twentynine Palms (29 Palms)
France / 2003
17.09.03
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L’IMMENSITE
"- Je comprendrais mieux si tu articulais"
Il y a un plan assez classique dans ce nouveau film de Bruno Dumont : les personnages sont immenses, au premier plan, puis s’éloignent vers l’arrière-plan. Leur taille est réduite sans que la caméra ne bouge, et le décor, la nature, reprend ses droits pour envahir nos pupilles. Cette "réduction" de l’humain résume tout ce qui énervera dans ce film. Car, certes, cette histoire d’Adam et Eve au Far-West aurait pu nous fasciner. Mais comment adhérer à une histoire d’amour à peine plus évoluée que celle des Cro-Magnon (la voiture en plus) transposée à notre époque ? Dumont donne ainsi une vision méprisable et misanthropique de ses semblables. Nous pouvons comprendre la double attirance pour l’esthétique du cinéaste et la cohérence de cette destruction en règle. Mais ces paillettes qui peuvent nous éblouir cache un propos relativement réactionnaire, teinté d’une morale très chrétienne, et finalement rempli d’un imaginaire aussi vide que celui qu’il dénonce (le cinéma américain).
Twentynine Palms prend place dans la région du Joshua Tree, dans le désert californien. Les espaces sont immenses, magnifiques. La nature impose sa loi et sa beauté. Elle donne une couleur aride et sauvage à ce film, qui, comme le désert, n’est pas accessible à tous. Ces paysages sont parfois meurtris par le chant des éoliennes, immenses bécasses qui saccage l’horizon, mais qui passionnent Dumont, toujours adeptes de mixer les constructions de l’homme - pas forcément laides - et son environnement. Ce mélange de réel et de naturel est l’essence même du cinéma de ce réalisateur. Il use de cet espace comme d’un symbole et nous offre généreusement quelques belles séquences. L’Amérique comme on l’a toujours vue, comme le cinéma aime la filmer, il nous la restitue. Les hommes n’y sont rien face à cet infini à contempler : allongés, nus, sur les rochers, les amants vus du ciel nous font croire à un tableau, plus qu’à un film. Le cinéaste, poseur, sait cadrer et met en scène ce vide tellement immense que nous nous y perdons.
Alors nous essayons de nous accrocher aux deux personnages, cet Américain et cette Russe qui se parlent en français avec un accent déplorable. Fournisseurs d’ennui, ces deux acteurs, un amateur et une professionnelle, se prostituent pour le plaisir malsain de son auteur. Le cinéma de Dumont n’a pas changé : il est crû. La pudeur n’est pas là où l’on croit. Nous la voyons pisser, nous les observons forniquer. Où est le désir ? Il n’existe pas. Il cherche à nous choquer et il nous indiffère. Il cherche à nous provoquer et il nous lasse. Cela tient à son regard sur l’humain.
Il a dessiné deux personnages psychologiquement simplistes. La femme, possessive, a besoin de comprendre l’homme et jalouse chacun des regards pour une autre fille. L’homme, égoïste, ne cherche qu’à être rassuré sur les performances de sa bite et s’inquiète surtout pour les rayures sur sa bagnole. Aussi un monde idéal se propose-t-il dans ce "nowhere" qu’est Twentynine Palms. Un éden moderne où la route est mal goudronnée, loin de toutes rivales pour ne pas le tenter, loin de toute parole, pour ne pas communiquer. Ce refus de la parole et donc de l’intelligence renvoie le couple à ce qu’il ne cesse d’être : des animaux qui copulent. Les actes sexuels sont d’ailleurs réduits à des baises sans préliminaires, purement bestiales, accompagnées de cris de jouissance, entre le pathétique et le ridicule. Voilà leur langage commun, le sexe, puisque les mots son inaudibles. L’humain n’a rien construit, il reste primaire. En s’isolant, ces deux animaux en perdition deviennent fous, ayant peur des autres, se méfiant de l’amour de l’autre. Cette peur de la vie aurait pu conduire à un message optimiste. Au contraire, nous sortirons anéantis par le carnage final, un acte purement barbare. L’Autre, l’étranger au couple, serait vraiment une menace, donc. Malaise. Sa vision de l’horreur est toute aussi primitive : coups, meurtre, viol sodomite.
Il n’y a pas de place pour les sentiments, il n’y a qu’un néant régressif, en l’absence de réflexions. Cette incompréhension permanente (et réelle) entre une névrosée et un obsédé (pas de quoi nous faire bander) n’est que le reflet brutal et cynique d’un monde autodestructeur. Facilement irrités, il la frappe et elle le fuit, avec ses démons intérieurs on ne saura jamais lesquels. L’amour et la haine s’entremêlent. Ils sont leurs meilleurs ennemis. Dumont se contente de filmer leur intimité, au plus près de leur humanité, captivé par la respiration de ses mammifères. "Il n’y a rien à comprendre" dit-elle. Et elle insiste : "ça n’a aucun sens".
Pourtant on s’évertue à le chercher. Il y a des liens avec d’autres films, d’autres réalisateurs. Qu’est-ce qui nous marque ? Ni le sexe (de la chair) ni la violence (mal filmée : trop cadrée, trop calculée, trop distante). Notre insignifiance au milieu de ces paysages, au milieu des images ? Dumont place cette oeuvre au coeur d’une critique déjà vue chez Gallo (Brown Bunny), Von Trier (Dogville) ou même Wenders (Paris Texas), qui sacrifient le sens au profit d’un spectacle purement formel qu’ils renient. Il y a plus de beauté et d’honnêteté dans le cinéma de Lynch (Lost Highway). Ce qui nous amène à croire que Dumont n’a pas simplement réalisé un film expérimental qui copie et colle des extraits de cinéma pour en faire un film au final d’épouvante à peine sensationnel. Cet effet cinématographique, voulu, confirme la thèse de la manipulation. Nous sommes censés frémir, et nous ne ressentons rien. Car Dumont a oublié une règle fondamentale : le spectateur aime aimer les personnages de cinéma.
Ce film cérébral qui traite uniquement de pulsions, ajoute une morale chrétienne où une certaine compassion, un amour et un pardon se mélangent au vide existentiel de ces êtres abandonnés. Un cri ou une folie, voilà ce qu’il reste des films du cinéaste. À moins que le secret, bien gardé, ne soit situé dans la salle de bain : le seul endroit qu’il ne nous montre pas, qu’il faut préserver, comme si la pudeur était ailleurs, dans sa propre conscience. vincy
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