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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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La bande du Drugstore
France / 2002
17.04.02
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ENTRE GAZELLES ET MINETS
"- Je suis un mec du Drug. Le Drugstore, là haut sur les Champs Elysées était le rendez-vous de la frime. C'est Marc qui m'avait initié. C'était la rentrée 66, j'avais 18 ans. On cultivait le cynisme et l'arrogance. Les filles qu'on ne méprisait pas, il n'y en avait pas beaucoup."
Sixties, ados, musique et éducation sexuelle : la formule n'est pas nouvelle. On aurait pu sâattendre à du réchauffé. Pourtant, il n'en est rien. La bande du Drugstore reprend les standards du genre (rigidité sociale, quête de liberté, premiers émois,...) pour mieux les dépasser. Un portrait satirique dâune jeunesse toujours plus insolente, en quête perpétuelle de nouveauté, et cultivant l'artifice au point de foncer tout droit vers sa propre destruction. Car le Drugstore way of life a bien fini par sâéteindre. François Armanet retrace ici ces derniers mois. C'était à l'aube de 1968. La jeunesse parisienne n'imaginait pas encore les mutations qu'elle allait vivre...
Un discours nostalgique ? Bien au contraire. La bande du Drugstore est un film rafraîchissant et tourné vers l'avenir. En matière de "jeunes playboys fils à papa", François Armanet ne joue pas dans la demi-mesure. Leur image est poussée à l'extrême. Mais, après tout, il ne fait que retracer la réalité. Des personnages et une attitude d'autant plus amusants quâils ont bel et bien existé. On les ridiculise sans relâche : ici, on fait appel à son tailleur pour avoir un pantalon façon Drugstore ; là, on mange du caviar comme un vulgaire plat de lentilles ; ou encore, on a un Picasso accroché dans son salon, sans savoir ce que c'est... Bref, l'ironie nâest pas des moindres. Ces éléments viennent épicer l'histoire, sans tomber dans la lourdeur. L'humour est récurrent tout au long du film : dialogues et situations prêtent à rire, à des moments souvent inattendus. Ce qui assure une vivacité certaine. Un entrain bienvenu car le coeur du récit - lâ'mour contrarié entre Mathieu et Charlotte - tend à ralentir l'histoire. Les deux adolescents, passent leur vie à se rendre jaloux. Dépassés par leurs sentiments amoureux, ils se provoquent sans cesse. On sait que la démarche des auteurs est ici volontaire : les deux personnages et leur idylle piétinent pour mieux caractériser l'esprit Drugstore. Le spectateur est alors placé dans une position d'attente permanente ; on peut s'en lasser.
Heureusement, à contrario de ce qu'ils interprètent, le jeu de ces deux comédiens nâest pas modéré. Mathieu Simonet et Cécile Cassel débordent d'émotions et sont plus vrais que nature. Leur histoire et leurs inquiétudes deviennent universelles ! Aurélien Wiik incarne à la perfection son rôle de petit minet donneur de leçons. Alice Taglioni s'attaque avec succès à un personnage très ambivalent et nous convainc. Bref... Quatre jeunes comédiens plus que prometteurs. Ils nâont pas fini de faire parler d'eux dans le cinéma français.
Impertinence, mépris, frime, obsession du sexe,... François Armanet nous expose un univers où tout est codifié : comportement, fringues, accessoires, langage, intérêts culturels,... Etre Drugstorien, c'est avant tout une histoire d'appartenance (et donc d'apparence) ! Alors bien sûr, la musique n'est pas exempte de la liste. François Armanet réalise ici un véritable coup de force. La bande son du film est une vraie perle ! Elle ne se contente pas seulement d'illustrer l'histoire : elle la sert directement. Les mecs du Drug veulent refaire le monde et vont à contre-courant des modèles français de l'époque. Ils détestent les yéyés. Chose bien logique. Tout Drugstorien qui se respecte, n'est pas prêt de crier derrière 'Aline - pour qu'elle revienne" ! . Au Drug, la chanson française, c'est du "yaourt". Les seuls qui s'en tirent : Nino Ferrer, Michel Polnareff et Jacques Dutronc, minet par excellence, avec ses Ray Ban collées sur le nez, et son "joujou extra qui fait crac boum hue". La musique est le moteur premier, tout au long du film. Au final : pas moins de vingt titres, d'Aretha Franklin aux Shadows of Knight, en passant par Othis Redding et Sonny & Cher.
Un hommage à la musique donc, mais aussi au cinéma des années 60 : clin d'oeil à la Nouvelle Vague et aux productions hollywoodiennes. En 1966, les Drugstoriens se nourrissent, entre autre, de James Dean et Peter Fonda dans Les anges sauvages. Leur anticonformisme s'exprime chez Godard, notamment avec Jean-Pierre Léaud qui, dans Masculin-Féminin, leur renvoie leur propre image.
Finalement, ces ados débordaient d'insolence, mais leur quête était légitime. A l'époque, la France s'ennuyait, les idéologies s'insurgeaient les unes contre les autres. Ils voulaient tout réinventer. Au-delà de sa fresque socioculturelle, François Armanet ne manque pas de nous rappeler le contexte historique et politique de l'époque. Nombre de volets noirs de l'Histoire, passés ou présents, touchent personnellement les personnages. En 1966 et 1967, la seconde guerre mondiale n'est pas si loin ; et avec elle, la Déportation, l'engagement dans la Résistance. Le conflit israëlo-arabe s'envenime. Les idéologies, telles que le marxisme, l'anarchisme, mais aussi le fascisme bouillonnent. On est toujours sous Fe Gaulle.
L'avant mai 68 ; des minets dans le sillage des mods anglo-saxon : a priori, cela devrait être loin de nous. Pourtant, le plus étonnant, dans ce film, est qu'il s'inscrit dans une totale pérennité. La bande du Drugstore nous plonge dans une histoire intemporelle et universelle. C'est ce qui fait tout son charme. sabrina
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