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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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L’un reste, l’autre part
France / 2005
12.01.05
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JE T'AIME MOI NON PLUS
-« Mais vous êtes marié. »
-« Mais je me sens libre. Plus je vous regarde et plus je me sens libre. »
Une chose est certaine, Claude Berri est toujours un réalisateur. Un grand réalisateur. Le cinéaste du Vieil homme et l’enfant, de Tchao Pantin, de Jean de Florette, ou encore d’Uranus, n’a rien perdu de sa dextérité. Ses activités de producteur émérite n’ont point altéré son acuité à appréhender l’humanité des hommes. Ici, comme dans beaucoup de ses films, le réalisateur explore les relations humaines, et en l’occurrence les relations hommes-femmes, en y mêlant des éléments de sa propre histoire. Sur un fond de tragédie (un père retrouve son fils paralysé à la suite d’un accident), deux hommes vont vivre parallèlement leur amour adultère. Chacun à leur manière, ils vont faire une rencontre essentielle et affronter les remous qui en découlent. « Pouvez-vous me dire quelle a été la rencontre essentielle de votre vie ? Jusqu’à quel point cette rencontre vous a t-elle donné le sens du nécessaire et du fortuit ? » demandait le peintre et poète Francis Picabia. Ici, nul ne sait s’il s’agit de LA rencontre d’une vie (Daniel a déjà été marié deux fois et Alain multiplie les maîtresses successives). Mais une chose est sûre, ces relations adultères ébranlent sérieusement les certitudes de ces messieurs. Avec beaucoup de subtilité, Claude Berri parvient à restituer la quintessence de situations archi banales, mais archi réelles. Alors c’est, ici, un homme qui hésite à partir parce qu’il ne veut pas faire du mal à une femme qu’il n’aime pas mais qu’il respecte. Là, un autre qui fait des pieds et des mains pour satisfaire sa femme et sa maîtresse en leur faisant croire (et le comble est que c’est à chaque fois sincère) qu’il les aime et qu’il va prendre une décision. Ou encore deux hommes qui craquent, l’un parce que son fils le prend pour un salaud car il a rencontré quelqu’un d’autre, l’autre parce que femme et maîtresse sont trop pressantes et qu’il s’embarque dans des situations inextricables par force mensonges… Bref, on est en plein marivaudage, mais un marivaudage réel. A ces affres masculines pleines de compromissions lâches mais honnêtes, le réalisateur oppose l’absolutisme intransigeant des femmes. Et nul personnage féminin n’y échappe. Toutes, quittes à en souffrir, refusent catégoriquement les petites et grandes lâchetés des hommes. Sachant trancher (je pars ou je reste), elles exigent de leurs hommes qu’ils en fassent autant.
Alors on peut dire que Claude Berri y va un peu fort dans la séparation et la guerre des sexes, mais à bien regarder, on touche à quelque chose qui n’est pas loin de la vérité. Bien-sûr, la peinture est un peu plus caricaturale du côté d’Alain (Pierre Arditi) et un peu plus juste du côté de Daniel (Daniel Auteuil). Le réalisateur établit ici deux mondes différents qui fonctionnent finalement comme deux films parallèles. D’une part, le monde de Daniel, tragique, vrai, déchirant. De l’autre celui d’Alain, fantasque, théâtral, drôle.
Du côté de Daniel, les personnages et les situations sont sobres et justes. Daniel Auteuil est parfait en père qui, anéanti par la douleur, va se raccrocher à la rencontre de Judith comme on s’accroche à une bouée après un naufrage, et ce, malgré la souffrance qu’il inflige à sa femme et à son second fils. Quant à ses femmes (Judith, Isabelle et Anne-Marie), elles sont émouvantes de souffrance contenue et d’intégrité, Judith en maîtresse tranchée qui est décidée à vivre au grand jour aux côtés de son amant, Isabelle en épouse délaissée et digne et, enfin, Anne-Marie en première femme qui a semble-t-il mis un terme, après une vie commune que l’on suppose pleine de joies, à sa vie amoureuse.
Du côté d’Alain, les personnages sont hauts en couleurs : un homme qui court de sa femme à sa maîtresse en inventant des mensonges plus abracadabrants les uns que les autres, une femme et une maîtresse qui font crise de jalousie sur crise d’hystérie, et une belle sœur épouvantable (excellente Noémie Lvovsky) qui passe son temps à écrire des injures sur la voiture de la maîtresse de son beau-frère et qui lâche des sentences terribles (« les hommes aiment les femmes cochonnes ») aux antipodes de son allure de vieille fille coincée.
Le tout est ainsi un savant mélange de quelque chose de Sautet et de quelque chose de Feydeau pour finir par ressembler à une comédie dramatique tout à fait originale, plutôt réussie et très touchante.
Et puis c’est un très joli hommage à Julien Rassam, qui, avant de disparaître, a passé deux ans dans un fauteuil roulant. Avec le Julien de son film, qui revient à la vie et se bat pour retrouver ses aptitudes motrices, c’est comme si Claude Berri donnait un second souffle à son propre fils disparu. laurence
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