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LES MALHEURS DE SOPHIE
"- Heureusement que j'ai gardé mes dents."
Incontestablement Miyazaki a remplacé Disney, habitant, avec ses univers, nos imaginaires comme le père de Blanche Neige avait su propager ses histoires de belles et de bêtes. Mais le monde de Miyazaki est plus riche, plus onirique, moins manichéen, moins candide. Le château ambulant est à la fois une ramification évidente de son oeuvre enracinée dans un mélange de cultures, et une nouvelle branche, qui ne pousse pas dans la même direction. L'auteur éprouve de la difficulté à montrer le maléfique et s'essaie au romantique.
Guerre et romance? La véritable faiblesse du film ressort de cette narration confuse où l'on comprend mal les motifs des belliqueux. En revanche, le chapitre amoureux est ici plus abouti que dans les autres films du maître : un amour inaccessible, inavoué, invisible, tout en retenue.
Mais est-ce suffisant pour satisfaire nos appétits sans cesse affamés de nouveauté? Pas sûr. Ce mastodonte de ferraille, château de bric et de broc dans cette Europe d'avant la Grande Guerre rappelle le récent Steamboy. L'Europe de Kiki ressemble davantage à celle de Sissi (impératrice). Les couleurs sont pastels et les filles sont des poupées. Au pays de Heidi, comme dans tous les pays...? Le pays de Miyazaki a du mal à renouveler sa faune (le corbeau noir de Chihiro), son décor (lieu improbable, contrées légendaires, boutiques artisanales), son héros. Un jeune homme qui se transforme en oiseau (ça change d'un serpent volant, vraiment?), surdoué individualiste piégé par un démon qui le ronge de l'intérieur, proie d'une vieille manipulatrice (Chihiro, bis). Toujours ce mythe de la mutation. De cette capacité à s'autodétruire si l'on ne poursuit que ses désirs égoïstes. Mais que dire de ces puissants qui ne veulent pas forcément le bien de leur peuple, quitte à les mener à la guerre (revoir Steamboy, finalement).
Alors, certes, il y a moins de monstres gluants et boueux. Il n'y a pas l'environnement aquatique du précédent, ni l'obsession environnementale de Mononoke. Ici le propos est davantage pacifiste. La caméra est à distance et regarde de manière lointaine cette parade militaire que le peuple applaudit naïvement...
Il y a quelques chose qui a changé depuis les précédents voyages... Les personnages sont, à première vue, toujours aussi excentriques, disproportionnés, lisses ou parcheminés à l'excès. Mais en fait, ils sont tous étrangement doux. Le mal s'insinue en eux, ne s'exprimant qu'à travers des métamorphoses - souvent violentes : vieillissement accéléré, couleur de cheveu changée, ...
Tandis que les machines sont folles (un Yeti des montagnes qui se cachent dans la brûme, des missiles, un train qui pollue le ciel), les humains tentent de garder leur dignité. D'un côté une prince charmant beau gosse, blondinet, bagousé, de grands yeux bleus, un corps fin et élégant... Limite gay cet Harlequin metrosexuel. Un Dorian Gray : "A quoi ça sert de vivre si l'on n'est pas beau?" On comprendra que la beauté est ailleurs... De l'autre côté, notre héroïne. Peu maquillée, brune, le teint pâle, la robe sobre, pas d'accessoires excepté ses chapeaux. Modeste. Jeune vieille fille qui deviendra vieille dame en un souffle de vent. Cette jolie vierge refuse de vivre sa jeunesse, déprime sans savoir ce qu'elle espère de la vie. Aussi s'émerveille-t-elle d'un paysage bucolique, et vierge, où elle batifolerait avec son idole nocturne. N'oublions pas la sorcière, bourgeoise obèse, obscène et opulente. Tous les personnages semblent réels, dans leur comportement, leurs gestes. la sénilité de la mamie, les sentiments de la jeune fille...
Dans ce film rempli de souffrance et de mal être, où personne n'accepte son âge et triche avec ("C'est pas drôle de vieillir."), nous voici confronté à une histoire d'amour (propre), qui triomphera de tout. La mue de chacun est en rapport à son syndrome psychologique. Il y a de quoi s'interroger sur l'équilibre affectif de cette drôle de famille qui s'adopte mutuellement : un orphelin, un adulescent narcissique, une femme qui se ride en quelques secondes, une mamie gaga, un chien espion, un épouvantail ...
Ce château (métaphore de notre cerveau) abrite l'antre d'une enfance protectrice (le gamin), retrouvée (la mamie), rassurante (le maître des lieux). Ces deux jeunes gens en quête du baiser final ne sont jamais que deux ados devant affronter le monde adulte en sortant de leur routine, de leurs idéaux. Alors Miyazaki fouille nos rêves, explore nos subconscients : vêtue d'une robe bleue et d'un tablier blanc, cette Alice au pays des merveilles (et des atrocités) franchit de mystérieuses portes et inspectent de sordides tunnels, imagine des paysages utopiques et fuit le réel.
Car tout est évidemment irréel, anachronique, allégorique, fantaisiste, féérique, fantastique, magique. Tout défie les lois de la logique. Mary Poppins a pris un sérieux coup de vieux! Ange ou démon, monstre ou soumis, le cinéaste essaie de trouver une identité à ses personnages dessinés. Ils devront, une fois de plus, effectuer des tâches ingrates, découvrir les bienfaits de l'entraide. Démons et sortilèges, malins et malicieux ne sont que des diablotins titillant notre conscience. D'infinis détails en jolies trouvailles, avec une maîtrise technique admirable (le coucher de soleil est somptueux, les jeux de lumières magnifiques), Le château ambulant, sans être aussi touchant que Le voyage de Chihiro, traduit bien les sensations et les émotions. Le temps y est relatif, les espaces vertigineux. Mais on ne s'attachera qu'à ce coeur qui s'enflamme, visuellement et littéralement. Ce coeur qui brûle, quelle plus belle image? Rarement une image dessinée n'avait été aussi pertinente dans sa signification. On aurait aimé encore plus d'ardeur. Mais Miyazaki n'a pas voulu le feu de la passion, et a esquivé le feu des armes. Faîtes l'amour, pas la guerre? Grandiose et poétique, la symphonie, légère, nous a rendu heureux. vincy
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