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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Constantine
USA / 2005
16.02.05
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DIEU EST UN FUMEUR DE HAVANE
« Tu vas mourir à 30 ans parce que tu fumes 30 cigarettes par jour depuis tes 15 ans… »
Enfin et damnation ! Voire plutôt trahison faudrait-il crier, après s’être laissé rouler dans la farine une fois de plus par un conglomérat de la pellicule vendue en boîte. Ceux qui pensaient encore pouvoir systématiquement espérer, non sans une naïveté désarmante, une adaptation un temps soit peu digne d’un comics adulte - il est important de le préciser - en seront pour leurs frais. Les pontes de Warner n’auront bien évidemment pas tenté le diable en signant un chèque sans prendre la précaution de standardiser selon la loi du marché leur investissement conséquent de début d’année. Car si la nouvelle bande dessinée américaine populaire jetable, ou collectionnable pour les compulsifs de l’accumulation, représente un foisonnement créatif propre à remplir un line up de studio pour un siècle entier, moins probant que leur contenu soit en mesure de réjouir les vigils de la Classification And Rating Administration (Cara pour les intimes). Il est loin en effet le temps où chez DC Comics, Superman en collants imposait l’ordre et la morale sur le monde en un symbole patriotique ronflant. Les lecteurs ont pris de l’âge ou deviennent très précoces et leurs héros définitivement infréquentables s’affichent de moins en moins propres sur eux. Pire, ces derniers incarneraient même désormais le mal de vivre profond d’une certaine population urbaine névrosée (avide de BD), celle qui se sent laissée pour compte. John Constantine est ainsi plutôt du genre au bout du rouleau, traumatisé, suicidé, cynique, intoxiqué... Le monde dans lequel il évolue est en crise dans la dissolution de ses valeurs sociales et morales (invitant à un « sacré » fatras recyclant légendes chrétiennes et païennes) et rend état d’une violence généralisée bien évidemment surexploitée dans l’excès graphique subversif bien que fort lucratif. Tout y passe dans la récupération des drames contemporains, Hellblazer zone dans les squats citadins, les prisons cul de sac ou même du côté des cours de récré de Columbine. Ca passe dans des cases où l’insanité n’en reste qu’au stade de traits confidentiels, ça casse en cinémascope où tout prend une autre ampleur et surtout quand la clientèle attendue peut être éconduite au guichet. Alors pourquoi s’entêter à vouloir - aussi - transposer des œuvres dérangeantes dites « matures » pour les teenagers quitte à dénaturer le travail des créateurs ? Pour faire tourner la planche à billet pardi, puisque les illustrés Vertigo sont à la mode.
Constantine s’apparentera par conséquent à un petit arrangement entre « amis », avec lesquels les cinéphiles n’ont usuellement que peu d’affinités. La combine consistant à marcher sur les traces de la franchise Matrix désormais mise sous scellées, en tablant sur les mêmes ingrédients qui ont fait leurs preuves. Même producteur, répétition de semblables figures imposées spectaculaires bourrées d’effets spéciaux (immeubles gruyère, passage entre deux dimensions parallèles) et surtout même tête d’affiche : Keanu Reeves. Le choix est surprenant dans la mesure où l’acteur ne ressemble en rien à l’exorciste english à la face burinée, croqué par d’innombrables dessinateurs et dont la morphologie conjuguerait plutôt le visage d’un Kiefer Sutherland avec celui d’un Clive Owen… Brun (comme Neo), vêtu de noir (comme Neo), Reeves a bien du mal (ses curieux pantalon trop courts aidant) à passer pour autre chose que le garçon fragile et rêveur qu’il n’a de cesse d’incarner. Contrairement à Neo, John Constantine fume… C’est bien la seule concession qui aura été abandonnée au personnage initial (et à quel prix si on contemple la fin du film !!!). Reeves tire donc sur sa tige à tout bout de champ, essayant par la grâce de ce gimmick désespéré de se procurer une contenance sans pour autant gagner en épaisseur. Assurément un ratage total pour faire vivre à l’écran un personnage déchu, qui renvoie irrésistiblement à la tradition du roman noir et qui est sacrifié dans cette présente approximation sur l’autel du jeunisme relatif du star système californien.
Le réalisateur aurait pu tenter de palier les défections multiples de la production. Apte au service puisque semblant détenir le brevet couvrant les dernières technologies mises au point, il s’acquittera à harmoniser l’ensemble du film aux canons de la demande du moment. La photo est léchée, Rousselot éclaire dans le patiné crado de bon ton (comprendre une mauvaise ampoule façon se7en et s’abstenir de passer la serpillére durant une bonne décennie). Son principal challenge résidera en fait à rendre passionnante le prétexte de scénario qui sert de rampe de lancement à une déclinaison envisageable de l’univers de Hellblazer. Classique, le fil ténu de l’histoire renverrait à celui de Ghostbusters (en moins comique cependant !), avec le cataclysme final à contrecarrer pour peu que les comploteurs soient maîtrisés avant l’instant fatidique. Les séquences sont très inégales et enchaînent de bons moments nourris d’une vraie inspiration poétique (introduction efficace), d’autres plus vains car maladroits dans leur mise en scène (les attaques nocturnes des démons généralement, un comble pour ce type de film), voire parfaitement inutiles dans la progression de l’action. Une impression d’économie nourrit une large part du récit dans la mesure où les faits sont narrés plus qu’ils ne sont représentés dynamiquement. Connaissant la profondeur du sujet, c’est dire si les dialogues à l’ésotérisme ultra référencé déclamés avec le sérieux qui sied aux anges et autres personnalités de l’au-delà tournent à la théâtralisation débilitante. Un peu plus de légèreté n’aurait pas nuit à l’affaire, mais le conseil était déjà applicable au modèle Matrix qui s’embourbait dans un mysticisme abracadabrant. Reste que quelques acteurs parviennent à profiter des espaces que le cinéaste a eu bon nez de leur laisser disponibles pour développer une interprétation tangible. Il semblerait même juste de prétendre que Rachel Weisz, Tilda Swinton et Djimon Hounsou évitent à l’embarcation un douloureux naufrage. Pareillement la performance du très détaché Peter Stormare s’inscrit dans les heureuses surprises propres à laisser un souvenir amical les lumières rallumées.
Ces quelques miettes représentent bien peu en comparaison avec l’enfer qui nous était promis (sur le papier ou dans la bande annonce racoleuse) et qui se bornera au final à de l’honnête grand guignol pour ados. Les cibles mouvantes du marketing qui vise bas n’ont que faire de l’intégrité des oeuvres. On en viendrait presque à esquisser un signe de croix en attendant la livraison du Sin City de Frank Miller revu et corrigé par Robert Rodriguez, mais en collaboration étroite avec le maestro…
PETSSSsss-
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