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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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HOFFMAN IN WOMAN
"- Tu as joué une tomate et le budget a doublé parce que tu n'as pas voulu t'asseoir!"
Femmes des années 80... En revoyant Tootsie, ce sont en effet les années 8à qui reviennent en mémoire. La musique d'ailleurs est passablement ringarde, vieillissant prématurément et artistiquement cette comédie de moeurs. En fait Tootsie repose sur un triptyque qui lui permet de passer les époques sans trépasser : son comédien, son scénario - classique mais aux rebondissements absurdes -, et son décor. Cela évince implacablement la réalisation de Sidney Pollack, qu'on a connu plus inspiré. Le film a cependant du rythme, faisant la part belle aux dialogues, vifs, et aux acteurs, hystériques.
Cependant, que resterait-il de cette comédie, dans la veine des Comment se débarrasser de son patron? (9 to 5), sans sa star? Tootsie est incarnée par Dustin Hoffman, acteur jamais casté, trop vieux, trop jeune, trop grand (même sans les talonnettes, c'est dire), qui y met tout son talent pour la rendre crédible. C'est la métamorphose, pour ne pas dire la mutation, qui singularise le film. Au delà du simple travestissement (type Cage aux folles ou Certains l'aiment chaud, antérieurs), il s'agit de questionner l'homme dans son identité masculin/féminin. car le film traite de la condition féminine, certes, mais aussi de la place de l'homme par rapport aux femmes. Et quoi de mieux qu'un homme qui expérimente la vie d'une femme pour comprendre l'homme qui est en lui? Tootsie nous pose ainsi des questions toujours d'actualité, puisque l'identité masculine reste dans le floue avec l'égalité des sexes durement conquise. Entre machos, réacs et Dustin Hoffman, la solution est évidemment toute trouvée. Les femmes ont beau être de Vénus, il faut savoir les écouter. Malgré leurs contradictions. Car le plus drôle, ou le moins drôle, c'est bien que Tootsie reproche à son burné de patron ce que Dustin Hoffman impose à son amie de toujours : une indifférence à la souffrance sentimentale des femmes (ici Jessica Lange et Teri Garr se partageant le miroir).
Au delà de la virtuosité de Dustin Hoffman à avoir su créer un personnage factice, fictif et féminin, on saisit vite que c'était aussi le seul moyen d'accepter le cynisme de base : une super star hollywoodienne jouant les acteurs au chômage. Le scénario piège son personnage pour le conduire dans une impasse. Fusionnant vie et travail, réalité et jeu, l'acteur se confond avec l'être humain, poussant à des situations surréalistes. On est plus proche du sitcom que du soap (euh pardon, du feuilleton d'après midi). On ne joue pas impunément avec le sexe des anges. Ainsi le même Dustin Hoffman peut devenir un hétéro mufle, une lesbienne inavouée et un homo travesti.
"-Michael, es-tu gay?
- Dans quel sens?"
Difficile de se sortir d'un tel pétrin, sauf à révéler la vérité. C'est là tout le brio du scénario : profiter de son cadre pour passer du drame au délire. Car Pollack n'a pas fait de Tootsie une héroïne de soap (oops, de feuilleton dramatique) innocemment. Le genre est prisé par la gente féminine. La bitch est souvent la favorite des téléspectateurs. Les hommes sont forcément affaiblis : la productrice a le dessus, le réalisateur pense avec sa queue, l'acteur est mauvais, sa partenaire motivée, etc... Aussi le décor de télévision devient le révélateur. Comme aujourd'hui. La vérité est érigée en vertu dans tout le film, basé sur le mensonge et le masque, mais personne n'est capable de l'entendre. Sous prétexte d'une pseudo transparence, les anglo saxons se servent du petit écran pour implorer le pardon, s'excuser de leurs erreurs ou confesser leurs tourments. C'est ce qui arrive à Tootsie. Incapable d'être homo, impossible d'aimer une femme, infoutue d'être dragueur hétéro comme avant. Sa transformation l'aura changé(e).
Aussi, quand la femme se révèle homme, c'est une femme qui le frappe. Mais le pire (ou le meilleur) est bien que ce moment dramatique fasse rire, et plus encore, qu'il soit logique. Car finalement, dans ce genre de soap (oh zut... allez voilà 75 cents Madame la productrice), ces invraisemblances semblent réalistes, et il y a bien eu des ressuscités, des jumeaux retrouvés, ou autres incongruités généalogiques et génétiques.
Portrait d'une Amérique au féminin, quelques années avant Working Girl et la prise de pouvoir des actrices comme Roberts, Bullock ou Pfeiffer, Tootsie, sans être exceptionnel, reflète son époque et nos moeurs. On voudrait tout voir en noir et blanc, mais de malentendus en troubles, tout se fondent et se nuancent. Mère seule, veuf inconsolable, femme frustrée... tous les célibataires sont déjà là. En attendant d'en rire dans des séries comme Sex in the City.
Le dialogue est ouvert entre les deux sexes. De Beauvoir est d'ailleurs cité. Woody Allen n'est pas très loin, période Manhattan. C'est tout le sous texte de l'autre partie du film : le théâtre intello, en opposition au soap populaire. Les intellos regardent le soap. N'ont aucune honte à vouloir travailler pour la télé. Ce qui en France paraîtrait inconcevable passe ici pour évident. Il n'y a aucun snobbisme, aucun mépris. Le travail de l'acteur n'est rien si l'acteur n'a pas de travail. Certes il n'y a pas de répliques à la Billy Wilder, mais Pollack réveille la meilleure partie du mâle, la femme qui est en lui. Ce Dustin Show trouve cependant ses limites dans l'aspect kitsch de certaines scènes (le week end à la ferme par exemple).
Le tabou reste sexuel. Et c'est là où Tootsie nous frustre, malgré sa façon d'en faire des tonnes pour nous divertir. Car le personnage est un corps étranger dans une comédie conventionnelle, un virus en forme de corps étrange justement, qui affole les prompteurs et déboussolent les règles et les rôles. En restant en dehors du simple baiser (toujours tenté, jamais réalisé, ou presque), Pollack reste trop sage pour nous emmener dans la folie du contexte. A l'image de ces soaps, on y parle, on y joue, on se détruit, mais tout semble théâtral. La subversion, très contrôlée, c'est finalement qu'un travelo devienne une vedette populaire d'une Amérique impuissant à exprimer ses sentiments et à assumer ses pulsions.
vincy
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