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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Mysterious skin
USA / 2004
30.03.05
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RENCONTRE D’UN MAUVAIS TYPE
« Je sais que tu te dis, on ne s’est pas protégés. Mais on est au Kansas. On ne tombe pas malade ici… »
Après avoir erré, à travers sa trilogie de l’apocalypse de l’adolescence, dans le chaos culturel et affectif de la jeunesse américaine, Gregg Araki persiste et signe avec Mysterious Skin dans la noirceur juvénile extrême. Il se donne toutefois l’ambition d’atteindre avec ce nouvel opus une profondeur qui pousse ses obsessions un peu plus loin que le pur romantisme pop grandiloquent et transgressif qui a bâti sa réputation. Une maturité nouvelle et bienvenue, chez un réalisateur peu enclin à grandir, qui doit son accomplissement dans un premier temps à l’apport du roman de Scott Heim, une histoire solide qui se développe sur une dizaine d’années, durée inhabituelle pour Araki jusqu’alors, installé dans l’instant, au seuil parfois de l’inconsistance (Nowhere).
Le sujet central, la pédophilie, s’inscrit comme un prolongement logique de l’œuvre du cinéaste américain, basée essentiellement sur la confrontation de l’innocence enfantine avec le monde adulte. Un monde adulte qu’il a toujours soit maintenu hors de son cadre, les parents étant la plupart du temps aux abonnés absents, soit représenté de manière radicalement négative par une galerie de névrosés psychopathes animés par une libido aveuglante ou une morale meurtrière (The Doom Generation). Loin de ces conventions aliénantes qui ne font pas la part belle à l’humanisme - les générations n’ont pas grand-chose de positif à transmettre à leur descendance - les teenagers d’Araki semblent évoluer en semi liberté, selon le degré de candeur encore intacte. Sensibles ou provocateurs, ils se plaisent à montrer à leurs aînés les alternatives auxquelles ils aspirent, comme dans cette séquence de bravade où Neil et ses deux camarades figurent un ménage en triolisme à la vue d’un automobiliste à l’esprit étroit qui ne manque pas de les canarder copieusement. Car si le tuteur ne peut réfréner le désir, il ne souhaite pas l’afficher, trop honteux de ses pulsions, trop conscient de ses compromis corrupteurs. L’inavouable sera au cœur de Mysterious Skin, masqué dans un premier temps par des images tendres et fantaisistes propres aux souvenirs enfantins, voire aux rêves quand la mémoire comporte des cases vides. L’exhumation du passé des protagonistes principaux sera l’occasion d’effectuer un parcours initiatique, une odyssée du vécu proche dans le trauma de Mystic River, où le déterminisme se confronte au libre arbitre et tend à l’emporter dans cette vision pessimiste et radicale de l’existence.
Les situations sont rudes, principalement le parcours de Neil voué à l’autodestruction dans sa recherche d’exorcisme du plaisir qui finit par tourner mal, mais Araki a ce talent pour créer les décalages en maintenant une atmosphère d’étrangeté dans les événements et évite ainsi la sur dramatisation glauque. Point de morale taillée sur mesure susceptible d’offrir des raccourcis trop évidents au spectateur et de rationaliser le propos. Les actes de cet entraîneur de baseball déviant aux attirances forcément répréhensibles ne seront ainsi pas jugés par l’objectif de la caméra, la mise en scène se focalisant sur les destins brisés des personnages, sur leur capacités à aller de l’avant pour générer les tensions et les émotions du récit, voire lever certains tabous. La réussite de l’expérience sera à mettre au crédit de la parfaite direction du jeune casting. Brady Corbet et Joseph Gordon-Levitt, chacun dans un registre diamétralement opposé (l’ingénue désespéré et l’ange damné), donnent la pleine mesure d’un mal de grandir qui dépasse le simple fait divers pour toucher à une mauvaise éducation plus universelle.
Araki pourra être soupçonné avec Mysterious Skin de se répéter dans sa thématique alors qu’il compile certaines figures déjà effectuées au sein de sa filmographie. Il sera parvenu avant tout à tourner le film anthologique qui concrétise l’ensemble de ses obsessions en bouclant un processus créatif nécessaire. Installé durablement entre Larry Clark et John Waters au sein d’une marge du cinéma américain peu conciliante avec la norme, il devra probablement pour prétendre évoluer et encore surprendre, se trouver dorénavant d’autres directions, comme il s’y était risqué maladroitement avec sa comédie hésitante Splendor, sans pour autant trahir son naturel d’éternel Peter Pan. PETSSSsss-
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