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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Hotel Rwanda
/ 2004
30.03.05
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LES DECHIRURES
"- Coupez les grands arbres!"
Tandis que nous attendons toujours un grand film sur la Guerre d'Algérie, des pays comme l'Irlande, l'Afrique du sud, l'Argentine ou le Chili n'hésitent plus à se pencher sur leur histoire récente, blessante, plaies ouvertes, sang fratricide. Dernier en date, et inattendu, le Rwanda. Qui intéresse même Hollywood.
Comme si le cinéma cherchait à partir à la rencontre de notre irresponsabilité. Comme si cet art de la fiction partait en quête d'une vérité quasi documentaire, renflouant par la même occasion nos mémoires, devenues poreuses par la faute du scoop, de l'instantané, du sensationnel. Le cinéma devient ainsi preuve d'une forme d'histoire immuable, émotionnelle, éternelle. Le pire et le meilleur, s'il s'agit d'histoires vraies. Mais aussi, peut-être, un devoir légitime dans un monde bombardé d'images qui ne parviennent plus à nous sensibiliser.
Hotel Rwanda a cette ambition de faire (presque) comprendre à un public non averti une guerre civile. Production occidentale, le regard est, étonnement, très africanisé, très critique à l'égard même des grandes puissances. C'est peut-être ce qui rend intéressant la lecture même de cet épisode contemporain. D'une part l'Afrique n'y est pas folklorisée, ni même idéalisée. La corruption, les moeurs assez étranges du business local en sont les éléments les plus notables. Mais ici, de l'informatique aux pavillons de banlieue, l'Afrique est aussi en passe de s'émanciper de son image de continent oublié. On regrettera l'absence du SIDA dans ce portrait somme toute honnête. On se reprochera surtout de n'avoir rien compris à ce génocide. Dans ce dommage collatéral du colonialisme (belge), les décisions d'alors ont un impact insoupçonnable. Les Belges ont là une grande part de responsabilité, et ce n'est pas éludé. De toute pièce, ils ont créé un racisme ethnique, basé sur l'apparence (les grands avec nez épatés d'un côté, les petits avec un nez fin de l'autre). Du coup résonnent à la fois l'absurdité de la guerre et celle du racisme. A l'horreur s'ajoute la bêtise.
Le cinéma a quand même du simplifier un peu les origines du mal. D'un côté les méchants Hutus, de l'autre les gentils Tutsis (cette éloge de la "victimisation" est assez fidèle à notre époque). Entre les deux un camp neutre (les occidentaux : soit un casque bleu canadien, un patron belge, un journaliste anglais, une femme de la Croix Rouge). Autant de témoins impuissants devant le carnage. Mais pas inactifs. Ces "blancs" permettent au spectateur de s'identifier, comme un voyeur handicapé des bras. Ce sont, comme par hasard, les seules stars de ce film, avec l'autre élément incongru, un Hutu gentil. Et là aussi il s'agit d'une vedette. Autrement dit, Hollywood a résolu l'énigme complexe de parler d'un conflit qui n'intéresse personne, en mettant en scène un star système pleins de bons sentiments. Du cinéma grand public, sans nous abrutir.
Malgré cet habile subterfuge, ne boudons pas le plaisir. Déjà celui d'admirer Don Cheadle dans un premier rôle difficile, où il apparaît convaincant. Accent compris, il s'immerge avec aisance dans ce rôle "entre deux", ce "Schindler" rwandais. Le génocide des Tutsis ressemble d'ailleurs, sémantiquement, à la Shoah. Mêmes discours, mêmes arguments.
Comment est-ce encore possible? La lâcheté des blancs est une chose - ces évacuations prioritaires nous mettent mal à l'aise et nous rappellent l'incohérence de l'action des casques bleus dans No Man's Land - mais la sauvagerie des coupables n'est pas à oublier. Au delà, constatons surtout que si l'argent manque pour protéger du SIDA ou développer économiquement ces pays, la mondialisation fonctionne à plein régime pour fournir les machettes (made in China), les mitraillettes (merci la France), le refus d'assistance (habile Amérique)... Délaissée cette Afrique, mais pas perdue pour tout le monde.
Au milieu de ce carnage, charnier inclus, un hôtel devient QG et refuge. Et au coeur de cet "oasis", il y a un homme. Don Cheadle porte aussi bien le film que son personnage soutient ses Tutsis. Son élégance, sa vulnérabilité, son intelligence permettent au "héros" d'être faillible, humain. Sa force c'est d'être connecté à toutes les populations, de jouer double jeu, de savoir s'informer. Comme notre faiblesse est d'être de plus en plus désinformé.
Alors bien sûr, il y a des regrets : son couple est mal écrit et le mélo s'emmêle les pinceaux. A chaque fois qu'il passe un obstacle, ils se tombent dans les bras, se félicitent. C'est un peu didactique ("Tu es un homme bon"), un peu vide dans les discussions intimes. Chaque cran dans la souffrance amène de l'émotion, s'abandonnant à tant de tragédies. Mais on reprochera certains choix de formes pour provoquer nos larmes : un brouillard qui se dissipe ou une jolie chanson avec des voix d'enfants; cela gâche un peu l'ensemble. De même la mécanique du script où les traumas sont croissants force l'empathie. On regarde un homme se faire battre. Puis un enfant revient couvert de sang. a chemise blanche, maculée par l'hémoglobine de ses frères. Il y a de quoi baisser les yeux.
Reconnaissons que l'intensité du film triomphe de ses défauts. La réalisation sans emphase parvient à nous écoeurer des actes, atroces. Les larmes sont nos seules armes. L'ambiance tendue dans Kigali (la traversée des convois) agrémente le suspens d'un scénario simpliste. C'est évidemment impossible d'être dans le mauvais camp, et nous sommes obligés d'être sensibles face à ce massacre et cet exode. La fin devient un peu confus politiquement, avec l'arrivée des rebelles Tutsis et une déportation des Hutus, qui est à peine esquissée et jamais défendue.
Il s'agit là toute la limite de l'oeuvre. Jamais on ne nous explique le soutien occidental aux Hutus. C'est bien par la bonne foi du personnage de Cheadle, que nous en sommes à croire sur parole Hotel Rwanda. Un bon film qui cherche sa voie entre documentaire fictif et cinéma témoignage. Une histoire de récits plus que de preuves, de paroles plus que d'images. Une première étape en attendant le point de vue africain sur le sujet. Encore faudrait-il aider l'Afrique a produire son cinéma, et ne pas se contenter de scripts binaires dotés de stars impliqués et activistes pour nous déresponsabiliser une fois de plus... vincy
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