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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Millions
Royaume Uni / 2005
06.07.05
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TROP DE BOYLE
"- On va tout donner aux pauvres.
- Où vas tu trouver des pauvres?
- Y en a plein!
- Pas dans ce quartier, les loyers sont trop chers."
Trainspotting, en son temps, avait été marqué au fer rouge par les moralistes et censeurs. Cela ne risque pas d'arriver à Millions, film ciblant les familles, façon Moi César de Richard Berry.
Ouh là. Dès la première ligne, comparer Danny Boyle à Richard Berry, le critique il tourne mal... Pourtant, dans cette quête vaine d'un divertissement autorisé à tous les regards sous la forme d'un film d'apparence moderne (montage frénétique, effets visuels de pubistes, bande sonore branchée), Danny Boyle oublie de se renouveler et livre un film qui oscille entre vacuité et superficialité. Non sans séduire.
Cependant, cette comédie qui se veut pertinente et impertinente (et qui au final n'est ni l'un ni l'autre), souffre de ce mal occidental : transformer les enfants en adultes précoces. Certes, les charmantes têtes blondes ont davantage conscience de ce qu'est le monde moderne. Mais doit-on leur faire perdre leur fraîcheur et une forme d'innocence pour les rendre trop intelligents, trop matures? Certes, cela facilite la narration, l'identification même. Hélas, du coup, nous ne savons pas où nous situer, qui s'adresse à nous, quel message doit-on écouter?
Le scénario part dans trois directions, à faire perdre la tête, d'autant qu'aucun de ces sens ne donnent du sens. Une chronique familiale, endeuillée par la mort de la mère. L'émotion manque. Les clichés pleuvent. Bref, rien de bien transcendant malgré le grand renfort de saints, de larmes, de rivalité fraternelle. Le père est absent durant les deux tiers du film. Invertébrée, la famille n'a pas de corps. Le réalisateur ne sait installer aucune situation. Tout arrive comme ce sac plein de livres sterling : tombé du ciel. Certes le film n'a rien de réaliste, c'est même une science fiction (imagine-t-on le Royaume Uni embarqué dans l'euro?). Mais Danny Boyle est incapable de sortir de ses tics de "mise en scène", et oublie d'insuffler de la vie dans ses pantins, trop occupés à "fonctionner" comme dans un rêve. Et si le film n'était que le rêve de son jeune héros, ce qui aurait été plausible, alors, il aurait fallu davantage de poésie et moins de compromis avec l'action... Car un thriller à suspens se superpose à cette histoire sentimentale. Entre vol de billets de banque et compte-à-rebours pour toucher le pactole, la minuterie maintient le spectateur en alerte. Boyle n'a pas perdu de son savoir faire côté tempo. L'ennui ne fait pas parti de son langage cinématographique.
Enfin, Millions est aussi une fable sur l'argent, celui qui ne fait pas le bonheur mais qui y contribue. Sur la place de ce fric dans notre vie, dans notre société. Et force est de constater que le cinéaste, là, s'est planté.
Vu le titre, le sujet, et l'omniprésence de billets, on s'attendait à autre chose que cette succession de clichés et de vanités sur le Dieu monétaire. Certes, l'argent est partout, mais Fincher fut autrement plus malin à nous (dé)montrer notre matérialisme / consumérisme dans Fight Club. L'aspect critique est maladroit et se couvre derrière un alibi humanitaire, à la manière très contemporaine d'un Tony Blair. De l'usage de l'argent pour soulager nos malheurs?
Manquant de cynisme ou d'ironie, Millions sait au moins se moquer de ce progrès régressif : flic envahissant (et suavement tyrannique), mormons hypocrites appréciant le superflu (une thalasso pour les pieds), associations caritatives insolites, enseignant obligé de parler de foot pour intéresser les gamins, village sans damnés mais plein de clonés.... Dans ce combat entre providence et shopping, entre honnêteté et triche, le pragmatisme britannique l'emporte : une dose de tout et la recette conviendra à tout le monde. Sans froisser. C'est regrettable. La mère est évidemment sanctifiée. Et les rares moments où Boyle essaie de surprendre sont gâchés par un manque d'inspiration (une sainte qui fume un joint par exemple, qui ça étonne?).
Trop binaire - le frère qui frime, corrompt, se la joue et claque le fric contre celui qui souffre, donne généreusement et culpabilise - Millions n'a même pas une larme pour la livre Sterling et fantasme cette Angleterre passé sous le régime de l'euro à travers un calendrier de l'avent très kitsch, pour ne pas dire vulgaire. Tout s'achèterait? A peu près. Il donne accès à tout : l'amitié, le sexe, ... Mais est-ce un bien ou un mal, aucun spectateur ne le saura. A défaut de morale, le script se cherche une finalité moraliste. Qui nous déculpabiliserait de nos instincts cupides. A la manière de la poubelle parlante pour récolter l'argent de poche des gamins, ce film se veut une propagande pour nous inciter à vider nos poches en sortant de la salle, au profit d'une ONG. Pourquoi pas? Mais en sortant d'une salle, on trouve souvent davantage de boutiques de fringues ou de fast food que de représentants humanitaires... En cela Millions, visant les multiplexes, manquant de finesse, loupe sa cible. Tout est trop appuyer, trop gentillet. Le film est fait pour rapporter des millions, pourquoi pas, mais il aurait pu aussi nous faire gagner en richesse intérieure. Le charme, à cet égard, n'a pas besoin de tant d'effets. Le prestidigitateur Boyle, hélas, ne fait progresser aucun de ses personnages, comme il y parvenait autrefois dans ses premiers films, où le fric était une forme d'énergie. Ici, c'est un objet factice avec lequel on s'amuse. Un banal Monopoly entre débrouillards individualistes. Plein de couleurs. Où les joueurs s'amusent, mais ne nous touchent pas.
Car Millions au bout d'une heure se perd dans sa frénésie visuelle. La fin ne fonctionne pas. Boyle ne sait plus comment faire évoluer ses protagonistes. Le mécano se déséquilibre. Plus rien ne semble réaliste. Et l'onirisme a disparu. La fantaisie s'éteint. Et le cinéaste n'est pas parvenu à dépasser le stade des illusions. Désillusion. Film fantasme. Sans excitation. vincy
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