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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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TRIOLISME
"- N'oublie pas ce que tu ressens et tes robes seront belles."
Qu'il est périlleux de proposer un triptyque réalisé par trois auteurs aussi dissemblables que Antonioni, Soderbergh et Kar Wai. Quand un Hou Hsiao-Hsien nous offre une histoire d'amour en trois temps et trois époques, cohérentes et sublimes, Eros, projet bizarre composé de trois moyens métrages, ne délivre qu'un assemblage déséquilibré entre trois styles. Trois continents sans liens, ou presque.
La principale qualité d'Eros est de commencer par le plus mauvais et de finir avec le meilleur. Si bien que nous oublions vite les défauts de l'Antonioni, bien nommé Le périlleux enchaînement des choses. Le doublage en italien rend désastreux l'entreprise initiale. Un segment impressionniste, où la sensation prime. Jusqu'aux ultimes images d'une femme nue dansant dans l'écume des vagues. Joli mais vain. Et, disons-le, facile. Michelangelo Antonioni a sans doute été un grand cinéaste - c'est en son hommage que les deux autres ont accepté de participer à Eros - il a perdu la main. Les personnages sont clichés. Les situations insipides. Les dialogues sans intérêts. A cause du doublage, on se croirait dans un soap de piètre qualité. Toute la symbolique est soulignée par des gros traits (voies étroites, erreurs d'orientation, pommes, boue, mauvaise communication...). Sexuellement il ose une scène de masturbation féminine. Misère. L'amour se résume ainsi à des mots et à une chair triste. La femme devient source de chaos et de maux. Un mystère inaccessible. Objet de désir masculin, le vieillard italien s'est offert son conte érotique d'une nuit d'hiver. On constatera surtout à quel point c'est le seul épisode qui n'a aucun lien temporel ou photographique avec les autres. Insolite et singulier, il s'isole, cruellement.
Aussi, lorsque nous enchaînons, sans péril, avec Soderbergh, nous sommes un peu frigides. Equilibrium est le plus déséquilibré des trois. Mais son esthétisme (monochromie dans les bleus, puis un noir et blanc soigné) nous éveille. Années 50. Pin Ups. Psys. Pub. L'Amérique ne montre rien. Elle explore les névroses, exhibe ses tics. Et parle de cul, mais sans en dévoiler le moindre centimètre. Soderbergh, dans une mise en scène trop voyante pour être honnête, propose un film malin, manipulateur. Une Amérique puritaine, qu'il respecte, celle de la censure, dont il se moque. Les scénettes reposent essentiellement sur le grand talent des deux comédiens. Tout est dans l'art du suggestif et de la confession ou de l'hypocrisie. Mais ici l'érotisme est réservée au domaine du rêve, un fantasme, une frustration permanente. Cela se résume là encore à des mots et du voyeurisme.
Antonioni avouait que l'homme n'était qu'un jouet des femmes. Soderbergh enfonce le clou en insistant sur la peur du mâle : celle de ne pas réussir, conquérir, posséder. La femme n'est d'ailleurs qu'une image à peine perceptible.
Et le génial Wong Kar Wai ferme le cercueil de la virilité masculine avec le plus long, et de loin le plus beau et le meilleur, segment. En Europe, le sexe avait un décor onirique, en Amérique, le bureau était au coeur du problème, en Asie c'est l'appartement qui sert de lieu de drague. Mais WKW, entre fétichisme sensoriel (le toucher et l'ouïe) et flirt avec ses deux précédents films, n'oublie pas, lui, au moins, d'être sensuel! Seul opus à nous proposer un peu d'érotisme. Déjà il part d'un scénario digne de ce nom, d'autre chose qu'un simple tableau ou une sorte de sketch. Une femme fatale, pute de luxe, en fin de carrière. Elle va vieillir, grossir. Tomber malade. Capricieuse, lunatique, garce allumeuse, diva. Grande Gong Li. Comment a-t-on pu oublier quelle comédienne elle était? Alors que le tournage avait lieu en pleine épidémie de SRAS, le cinéaste rend son personnage féminin, sublimé, contagieux. Tandis que les mesures sanitaires contraignaient l'équipe de se laver les mains, le réalisateur a fait de ces mains, le lumineux objet de plaisir. Quelle belle idée. Main, instrument de désir. La main qui attire l'autre, se pose sur les hanches, repose les bras, caresse, coud, remaquille, remet une mèche de cheveu élégamment. Mains ensorcelantes. Que ferait-on sans nos mains? Et finalement avec une main... ici c'est l'homme qui obéit, qui fait tomber le pantalon, qui baisse le slip (l'érection trahissait l'excitation). C'est la femme qui passe sa main sur la raie, qui masturbe. Eros est une histoire de plaisirs solitaires, cérébraux, de fantasmes assouvis ou en suspens. Et la main en est la plus belle des allégories.
Kar Wai réussit même un équilibre rare entre le désir érotique (la main qui fourre une robe, comme si elle pénétrait celle qui devait la porter) et me sordide de la prostitution. Entre le sexe sale et celui qui tutoie les anges. Il révèle, en creux, l'échec d'Antonioni sur ce domaine, et la fadeur des bavardages de Soderbergh. L'élève a dépasse les maîtres. En 40 minutes de son cinéma, il évoque son époque (épidémique), l'absolu amoureux qui transpire dans tout son cinéma et un érotisme insidieux qui fait appel à la mémoire et aux sens. Ce que l'homme d'aujourd'hui, piégé par l'éphémère et la vulgarité, tend à mépriser.
Dans ce plan à trois, on se consacrera donc à la prostituée chinoise, bien plus experte et séduisante que les amazones italiennes et la femme au foyer américaine. vincy
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