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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Entre ses mains
France / 2005
21.09.05
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LA VICTIME DEFENDUE
"- Je trouve ça bien de rencontrer les gens sur le lieu de travail."
"J'ai une prédisposition au tragique." C'est le personnage de Benoît Poelvoorde qui l'affirme. On veut bien le croire à voir sa mine triste comme un soir chez les Corons. En explorant en profondeur sa facette de serial killer (C'est arrivé près de chez vous) et en refusant de chanter au karaoke du coin, il nous semble loin le clone de Cloclo, il nous paraît proche le comédien belge dépressif. Nous ne parlerons donc pas de contre-emploi. Ce qui est remarquable, dans le sens notable et non forcément admirable, c'est le pas de deux, a priori peu évident, entre Poelvoorde et Carré. Casting casse gueule. Pari réussi par Anne Fontaine, habituée à ce genre d'audaces. Elle rentre dans le vif du sujet, ce couple improbable, dès la première scène. Répliques, visages en gros plans. Le facteur humain est important. Et leurs différences vont forger leur attirance. Poelvoorde-Carré c'est l'alliance de la carpe tragi-comique et du lapin dramatique. cela donne le ton à l'ensemble du film. Le plat s'avère savoureux.
Tout est dit en une phrase résumant le cinéma de Fontaine : "besoin d'être très vite dans l'intime, le reste on s'en fout." Tout est fulgurent (les rencontres), essentiel (les angoisses, les désirs), synoptique (le contexte, les seconds rôles). Du coup les personnages sont incarnés, avec rapidité ou avec rareté. Mais ils existent. La mise en scène se reposant trop sur les acteurs et le montage, il faut tout le brio de l'écriture pour ne pas nous faire croire à un simple polar. Pas facile de faire un suspense façon Silence des Agneaux tout en distillant son propre style et en nous surprenant avec des incertitudes sur le tueur. Fontaine parvient à sauter chacun des obstacles du genre. Sa réalisation cherche l'instant tout en restant à distance des événements. Le spontané l'emporte sur le fabriqué. Pourtant, tout n'est qu'artifice au cinéma.
Un pacte entre une femme trop sage et un diable plein de remords. Emprise. Prises de conscience. Fascination, donc. Soupçons, surtout. La réalisatrice souffle habilement le chaud et le froid malgré la fine épaisseur de l'intrigue. La peur et l'inquiétude remplissent les vides. Que ce soient Carré ou Poelvoorde : nous voilà réconcilier avec leur talent, après quelques rôles respectifs davantage inscrits dans le bluff ou le cliché (voire trop fidèle à leur image). Ils interprètent deux fantômes qui se croisent, se reconnaissent, s'embrassent. Alors l'entreprise devient un lieu désincarné, cynique où dialogues et discours deviennent mensonges et mascarades. La sincérité est ailleurs, entre ces deux êtres humains. La ville n'est qu'un décor. Les boîtes de nuit - la cinéaste est l'une des rares à savoir filmer les ambiances nocturnes et les lieux de fêtes - ne sont que des confessionnaux exhibitionnistes.
Fontaine aime filmer cette "classe moyenne" hantée par ses frayeurs. Rien de caché. On flirte juste avec la transgression. Thérapie qui avait autrefois conduit Berling à une sodomie à sec. Qui aujourd'hui nettoie les neurones à la vodka, plutôt que d'avouer une forme d'impuissance (à aimer, à baiser). Qui pousse aussi la ménagère de moins de 50 ans à vivre une liaison dangereuse avec un monstre.
Exister ou disparaître, voici la question posée. Vit-on vraiment dans ce monde dit réel, mais finalement très virtuel? Comment ne pas exister autrement que dans l'amour, la mort? Nous voici piégés, tendus. Entre leurs mains. Celles de Carré cherchant à soulager sa souffrance, un mal être mélancolique; et celles de Poelvoorde en proie à ses remords, voulant se libérer de cette incapacité à vivre avec les humains. Avec un rythme palpitant et de bons dialogues, en passant par une étrange scène d'horreur fugace et violente, peut-être inutile, nous arrivons au final tant aspiré : tout en trouble, où justement le soulagement de l'une fait la libération de l'autre. L'infidélité a parfois du bon...
En ne s'écartant pas de son sujet ni de son genre, Anne Fontaine réussit un film noir intéressant, en tout cas se démarquant de la production hexagonale. Le genre n'est qu'un alibi qui lui permet, tout en respectant son mobile, de continuer son jeu de massacre "chabrolien", peuplé de bourgeois provinciaux. vincy
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