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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Les âmes grises
France / 2005
28.09.05
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BLAMES INSENSIBLES
"- Je n'ai guère de conversations.
- Moi non plus je n'ai pas grand chose à vous dire.
- J'en ai appris à me méfier des mots. Ils sont dangereux."
Yves Angelo, depuis son Colonel Chabert, aime les ambiances hivernales, tristes, les meubles en bois sombres et les visages taciturnes. Cette atmosphère de grisaille française incite peu à la joie ou à l'amour, rendant les sentiments frigides, conduisant à la folie intérieure des hommes. Impassibles. C'est louable, quoiqu'un peu plombant en notre époque. La complaisance du cinéma français dans des drames en costumes interpelle : ne peut-on pas dans ce cas préférer un regard plus moderne, ou au contraire se laisser aller à une fantaisie nécessaire? Angelo préférant le beau au drôle, les visages graves aux sourires, répond avec une adaptation littéraire intimiste, où le fait divers prend le dessus sur l'hiver de la Grande Guerre.
Car l'ampleur des combats est ici ignorée. Tout juste entendons nous le bruit des canons, voyons nous, de loin, quelques explosions. Les âmes grises n'est rien d'autre que la révélation des impunités nées de cette situation extraordinaire, le reflet de la monstruosité de ces hommes loin des Tranchées, pas forcément planqués, mais jugeant tout et chacun. Portés par trois acteurs magnifiques, le film parvient très bien à dresser le portrait humain et nuancé de ces hommes de Loi - un procureur cynique, un juge d'instruction sadique, un flic éthique - mais ne réussit jamais à créer une véritable tension autour des crimes et des coupables.
En cela, le vieux fauve blessé incarné par Marielle se taille la part du lion, usé-vieilli-fatigué, avec un personnage tout en zones d'ombres. Les doutes pèsent sur lui et nos préjugés avec. Le comédien incarne parfaitement ce mélange de culpabilité et de sincérité. A la dureté des hommes, laids, s'opposent la douceur des femmes, innocentes. Caricature un peu forcée par la direction artistique et un romantisme nostalgique loin de notre consumérisme amoureux. Aussi s'attardera-t-on davantage sur les échos à notre monde. Les théories fascistes en germe, la frustration face au désir obsessionnel, la démence des plus lucides, les discours démago détestables. Si tout cela avait été un peu moins récités et un peu plus vécus (la mise en scène manque de tripes), le film serait sorti de cette sombre et plate amertume pour verser dans un genre plus plaisant, qu'il soit policier, horrible, ou satirique. "Si l'enfer existe, il faut bien qu'il serve." Hélas rien d'infernal ici.
Car la plasticité recherchée par l'ancien chef opérateur Angelo cloisonne Les âmes grises dans une grisaille désensibilisée. Il y avait peut être autre chose à faire avec ce monde aliéné. Ici, seule la panique calme affole les regards. Pourtant quelques séquences surnagent de ce bourbier : l'ouverture dans la classe d'école, la scène de torture homo-érotique et militaro-sadique vers la fin, les duels tranchants entre Villeret et Marielle. Ou encore cette caméra qui suit le dos voûté, la démarche blessée de ce vieux Monsieur soupçonné d'une immonde saloperie, et pourtant si peu coupable.
C'est là que le film prend sa plus belle dimension : dans la complicité de tous, la corruption du système, la compassion à l'égard des uns et l'erreur de jugement sur les autres. Personne n'est épargné dans ce jeu de dupes, de la demoiselle naïve victime de ses sentiments au flic intègre qui se plante complètement. A force d'être détachés de la vie, de la guerre, du quotidien, ils n'ont plus une perception juste de l'humain. La France en déclin, déjà. Castes qui coexistent , qui se protègent comme ils peuvent. Une élite pourrie, d'intouchables et de solitaires. Un peuple désespéré, entre souffrances et injustices. Angelo choisit son camp, sans nuances. Après avoir fuit une forme de réalité atroce qui les entoure, ils courent tous vers le suicide, l'auto-destruction, le meurtre, vers un univers désincarné, pour ne pas dire dévitalisé. Ce qui amènera à une conclusion pleine d'espoir, et justement de vie. Dommage que le film ne fait que frôler Céline et n'aille pas jusqu'au bout de son voyage : dans la nuit, noire, ou vers le jour, plus grisant. vincy
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