Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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The Brothers Grimm (Les Frères Grimm)


USA / 2005

05.10.05
 



FRERES SANS JOIE





"- Je ne voulais qu'un peu d'ordre. Une part de quiche serait bienvenue."

Terry Gilliam fait partie de ces cinéastes qu'on qualifie d'auteur à jute titre car ils ont un style, une patte, un regard singulier, quelques obsessions. Son point de vue oscille entre la flamboyance, parfois toc, comme ici, et le fantasque, composé d'hallucinations et de chimères visuelles. Mais il s'attache surtout à des héros - qui ont l'image exactement opposée à celle du héros d'ailleurs. Personnages au bord de la déchéance, toujours portés par leurs rêves, heureux dans leurs illusions (artificielles ou naturellement folles), piégés par la réalité (jamais très drôle, amenant même des souffrances aliénantes). En cela, son amour pour Don Quichotte n'a rien d'étonnant. Lui aussi se bat contre des moulins (à vent, hollywoodiens) et voient des châteaux d'Espagne là où il n'y a que quelques cailloux.
Avec Les Frères Grimm, il ne parvient à retrouver son chemin là dans cette foisonnante ambition, confuse et rapidement inintéressante. Pour ne pas dire cliché, ce qui est un comble pour un tel artiste. Jamais son récit ne captive, mais, pire, il ne déraille pas vers l'esprit baroque auquel il se référence. Trop consensuelle, l'oeuvre ne fait que de grossiers clins d'oeil aux contes des frères Grimm. Parfois cela fonctionne (le monsieur pain d'épice), la plupart du temps cela ennuie (effet trop facile). On pouvait croire qu'en interprétant librement les légendes à travers la vie de leurs auteurs, Gilliam réussisse à nous embarquer dans un voyage fascinant. Notre frustration provient certainement de cette expédition inachevée et décevante. Il y avait belle matière. Car le réalisateur aborde, avec son sens du burlesque et de l'absurde, des sujets qui lui tiennent à coeur : les vilains Français ne sont-ils pas ces producteurs qui lui ont gâché son adaptation de Cervantès? Et ce monde des illusions et de tricheries, d'effets spéciaux et d'arnaques, n'est-il pas une critique insidieuse des studios d'Hollywood, pillant dans les histoires populaires de quoi faire peur et prospérer sur le dos des peuples? Et ces manipulations et mensonges des politiques n'est-il pas un écho à notre époque de politique-spectacle dénuée de scrupules? Le discours sur le salut des âmes (avec musique patriotique qui s'interrompt brutalement pour souligner le pastiche) ne sauve pas la faiblesse de l'ensemble malgré les moqueries et l'ironie parodique. Et, pour finir, ces villages à cran (bien mieux exploités dans Wallace & Gromit) ne sont-ils pas les métaphores de nos sociétés paranoïaques?
Hélas, Gilliam n'utilise pas complètement ce potentiel satirique et même critique. Tout n'est qu'esquissé. Il transforme son plaidoyer pour les jolies fables en grosse machinerie peu plausible, lourde et lente. Les premiers plans s'inspirent de beaux tableaux, avec des allures d'aquarelles. séduisant. Malheureusement, le film s'embourbe dans un ésotérisme de pacotille, un univers surnaturel vaguement "horrible" qui sent plus le calcul marketing (film ciblé grand public) que la vision de l'artiste (ce sera intéressant de voir la version "director's cut").
Alors, Brothers Grimm nous fait prendre des vessies pour des lanternes, figé dans son genre comme Bellucci est statufiée dans son image iconographique. Aucune émotion. De la difficulté à maintenir la tension, l'attention, l'intention. Tout paraît laborieux, du développement à la conclusion. La malédiction aurait du être plus excentrique. Ca ne l'est tellement pas que nous remarquons trop vite les moments "comiques". Aussi les Frères Grimm sauvent leur place dans l'H(h?)istoire grâce aux comédiens. Ledger en puceau romantique et Damon en débauché filou. Le rêveur et le baiseur. Héros d'opérette parfaits dans la farce et la grandiloquence feinte, le ridicule assumé. Le film est à leur image, bancal, maladroit. Craintif même. Gilliam a du mal à maîtriser les genres, entre comédie, suspens, romance, conte fantastique, horreur et fantaisie. Les effets visuels (notamment animaliers) sont bizarrement ratés. Il y a des coupes plus que visibles au montage qui empêche une fluidité narrative - la première sortie de la forêt a été clairement abrégée conduisant à une incohérence.
Heureusement, Gilliam insuffle parfois quelques détails drôlatiques (le geste chic du valet à la réception), des élucubrations inspirées, une scène de torture loufoque (écho à Brazil et 12 Monkeys). Et si "la vérité est bien plus terrible que la fiction", il a peut-être voulu trop coller à la réalité là où nous souhaitions un pays des merveilles (atroces). Le final apparaît du coup simpliste et niais, pour ne pas dire sans intérêt. Un conte qui ne sait pas finir, ce n'est pas le moindre des paradoxes de ce film qui respire la commande. Récemment la question était posée à propos d'Orson Welles : une oeuvre inachevée n'est-elle pas une oeuvre en soi? Dans ce cas, le dernier bon film de Gilliam est certainement ce Don Quichotte et cet Homme de la Mancha. En attendant le prometteur Tideland. Car Brothers Grimm n'a rien de la magie attendue depuis le plus audacieux Las Vegas Parano.
 
vincy

 
 
 
 

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