Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Syriana


USA / 2005

22.02.06
 



L'ETREINTE PAS GLORIEUSE





"- L'Iran les rend fou."

Le cousinage avec Traffic est flagrant. Même auteur, même découpage, même intérêt pour un monde complexe où l'enjeu humain joue les grains de sable dans une mécanique implacable au service du Dieu Dollar. Mais si Traffic (question de mise en scène) paraissait fluide et tendu, Syriana se perd dans ses méandres et compte essentiellement sur le charisme d'un Clooney (magnifique, malgré le gras du bide) ou le sensationnalisme de ses scènes pour nous scotcher. Il frôle toutes les limites de la fiction documentaire, cherchant un équilibre trop forcé entre la solidité de ses sources, la crédibilité de ses thèmes abordés et l'émotion servant de catalyseur ou de transition. Syriana a l'intelligence qu'on lui prête : il traite des vrais enjeux mondiaux que nous subissons, et s'avère, alors, un divertissement utile. Ce n'est pas le moindre de ses mérites. Mais là où Traffic mélangeait les intrigues individuelles, celui-ci ne se focalise que sur un seul rapport humain : le père et le fils. C'est peu. Relations impossibles, fatales ou incomprises, elles ont du mal à trouver leur logique dans ce maelström économico-politique. Prétextes psychologiques pour la construction de personnages, elles permettent de faire de chacun des "héros", des "monstres" capables de faiblesse, révélant leurs failles. Que ce soient l'avocat avec son père alcoolique, le jeune pakistanais en rage et son père soumis, l'agent de terrain de la CIA ne convaincant pas son fils d'une expatriation temporaire, l'héritier brillant et réformateur méprisé par son père d'Emir, le financier qui sait tout anticiper perdant accidentellement son aîné.
Ce n'est pas, non plus, la forme du film qui fait la différence. Toutes les récentes productions hollywoodiennes du genre (de Tony Scott à Steven Spielberg en passant par Steven Soderbergh) aiment ce mix de cosmopolitisme ethnique, villes exotiques (ici Téhéran, Beyroyuth, Washington, Gen§ve, le Texas, les Baléares) et de linguistiques (anglais, arabe, farsi, chinois, français). Objectif pédagogique à destinationn du publica américain croisé à un désir de coller (ou disons de représenter) une forme de réalité (très Frequent Flyer). Enfonçant des portes ouvertes pour les esprits informés, il reste instructifs pour les autres.

Car Syriana puise son énergie ailleurs. Foisonnant de sujets, le thriller savant essaie, parfois avec brio, de tout expliquer. La guerre économique : comme dans The Corporation, il est énoncé le poids de deux multinationales qui fusionnent, ici en une 23ème puissance économique mondiale (soit le PIB du Pakistan et du Danemark réunis). Guerrequi passe par les pipelines et les mobiles, flux de communications invisibles qui tissent leur réseau comme autant d'artères et de veines irriguant un coeur atrophié. La nostalgie des Rockfellers (mécène, milliardaire, créateur d'une Université) est évoquée. Chaque phrase a son importance dans ce récit morcelé. Le spectateur doit être attentif au risque de se retrouver largué au premier Surtout que dans ce monde imprévisible et ponctué de complots, les rebondissements et trahisons ne manquent pas. Entre les multinationales et les pays producteurs de pétrole, les experts financiers et les avocats, les Lois d'un Etat et la Raison d'Etat, les intérêts nationaux et les intérêts privés, tout se contredit, rien n'est simple : les manipulateurs sauvant avant tout leurs fesses à coup de compromis. La stratégie énergétique, brûlant sujet d'actualité, presque mieux analysé que dans le documentaire de Michael Moore (Fahrenheit 9/11), met en exergue la bataille entre les grandes puissances (et notamment les USA, grand apôtre de la concurrence qui ne supporte pas la compétition, et la Chine). Syriana est une histoire de rivalité plus que de haines, d'incompréhensions et de peurs, plus que de tentatives de réconciliation.
Pour attiser ce brasier, rien ne vaut le grand méchant loup, le Docteur No : la CIA. "Un business. A 30 milliards de dollars." L'agence préfère ainsi les régimes despotiques et obéissants à des leaders éclairés et affranchis. Attaquant les tyrannies, les liens incestueux (et donc malsains) avec l'Exécutif américain démontrent des décennies d'erreurs, depuis la Guerre Froide jusqu'à celles du Golfe en passant par différents coups d'Etat. On y cite le Nobel de l'Economie, Milton Friedman : "la corruption, c'est l'intrusion gouvernementale dans la dynamique du marché." Belle morale pour des ultra-libéraux prêts à violer les lois et distordre leur sacro-saint marché. S'il n'y avait que ça...
Le film n'est pas seulement cynique, il est pessimiste. Même le suicide n'est qu'un ultime cri de détresse, plus qu'un acte de haine. Aucun sauvetage n'est possible. Pour le moment. L'Amérique a un problème : et ce n'est pas l'Occident, la Chine ou la Russie, mais la zone située entre le Maroc et le Pakistan. Sans caricaturer l'Islam, Syriana esquisse plutôt l'Islamophobie et la responsabilité des puissances occidentales dans le contexte contemporain. Après tout, les écoles coraniques utilisent les astuces marketing de McDo pour fidéliser le client - ici esclave frustré et humilié, traité comme du kleenex : "ils nous ont donnés des frites et de l'agneau et des brochettes." Ce n'est pas leur foi qui est incriminée. Les jeunes ne sont que récupérés, une fois laissés sur le bas côté par le système économique.
Syriana est furieusement d'actualité. Peut-être sera-t-il vite démodé, ou cruellement juste. Licenciement expéditif (à la Villepin façon CPE), main d'oeuvre immigrée devenue inutile et donc expulsée (à la Sarkozy façon quotas), et vous avez le cocktail explosif final avec des kamikazes (de banlieue), agissant par violence, rancoeur, rage et surtout désespoir. Et si "le monde à venir est la vraie vie", alors Syriana voit l'avenir en noir et la vie pas du tout rose. Et là, ça n'a rien de caricatural...
 
vincy

 
 
 
 

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