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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Breakfast on Pluto
Irlande / 2005
01.03.06
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KITTEN & THE ANGRIES IRISHS
"- Je suis toute humide mon père. Que me faîtes vous? Vous m'aspergez de Paic Citron?"
Quand on n'est ni de Vénus ni de Mars, ou plutôt des deux, on peut être né de la dernière, Pluton. Kitten (traduction : Minou), travesti inné, vit bien sa différence, très à l'aise dans ses désirs. Sans fanfreluches ni accessoires, Neil Jordan a le mérite de nous faire aimer son personnage principal, naturellement. Kitten parvient très bien, par sa candeur, sa gentillesse, sa naïveté à nous faire accepter sa vision des choses : il n'y a pas de tabous, donc pas de transgression ou de perversion. De cette "générosité" humaine, propre aux récentes oeuvres du cinéaste (parfois en surdose), naît un cinéma fabuleux, où rien n'est grave, où tout prête à sourire.
Ici, des rouge gorges parlent autour d'une bouteille de lait. Univers enfantin pour survivre aux (mélo)drames. "Peut-être riait-il pour ravaler ses larmes". Ou supporter la situation. On prend le breakfast sur Pluton (Tiffany's est hors de portée) parce que sur place, c'est assez risqué. Entre les catholiques et autres bigotes et les terroristes et autres patriotes, l'Irlande n'est pas franchement le décor pacifique idéal. Pourtant, comme son compatriote Sheridan dans In America, le réalisateur n'hésite pas à faire croire que l'herbe est plus verte à Londres, capitale pourtant impérialiste. Mais cette expatriation a trois intérêts : Kitten se sentira mieux noyé dans l'anonymat des foules anglaises, il s'agit pour lui de retrouver l'une de ses racines, ce ne sera qu'une étape vers son véritable destin.
Londres, d'ailleurs, est l'épisode le moins habile du film. On s'y ennuierait presque tant elle perd de son intensité malgré les rebondissements. Comparativement, les scènes en Irlande, sans doute parce que le portrait du pays est plus inspiré, parce que le pays est en quête de liberté et dicte une narration plus dynamique, nous passionnent plus. Cependant le réalisateur cherche à tracer d'autres frontières que celles géographiques ou "identitaires". "La seule frontière qui compte est celle entre ce que tu es et celle que tu as laissé derrière toi."
Jordan s'intéresse un peu plus, à chaque film, à ce qui fait bouger les Hommes. Ce à quoi ils aspirent. Le déni des origines est alors le pire des freins. La faculté de rêver la plus belle des énergies. Manière pour le cinéaste de ne pas oublier d'où il vient et pourquoi il fait son métier. Hélas, son cinéma devient de plus en plus fragmenté. Breakfast on Pluto est une série de petites chroniques (faussement) excentriques et grand public. Une historiette composée de petits chapitres, plus qu'une histoire nous emportant. Il faut tout le talent de Cillian Murphy (même si la voix suave peut parfois agacer) pour nous tenir d'un bout à l'autre de cette quête personnelle. Le travestissement n'est que l'enveloppe d'une âme en "perdition", car orpheline. Diva bohémienne perdue entre deux identités, irlandais séduit par Londres, homme séduisant en femme, les métamorphoses cachent un mal-être propre à tout ado. Ce qui évacue le jugement de nos regards. Même les étranges rencontres s'habituent à sa différence : un tueur, un magicien, un chanteur, un terroriste, un policier. Il flirte avec les désastres, qu'il soit Gorge Profonde ou Catwoman ou même Margaret Thatcher (dans le rôle de la bourge idéale), et rien ne l'atteint. Fragile, tendre mais pas vulnérable et très déterminé, ce Kitten nous touche et nous émeut. Davantage que la vision naïve de Jordan où l'innocence est complaisamment massacrée, la bêtise survivante à toutes les injustices. On le sent préférer le monde d'illusions de son héros, n'hésitant pas à user de poncifs visuels (flemmes de l'enfer brûlant l'église du prêtre pêcheur). Film fantasmagorique, Breakfast on Pluto n'a rien de convaincant dès qu'il s'agit de réalité. Pourquoi pas. Mais dans ce cas, revoyons Hedwig and the Angry Inch, plus âpre, Torch Song Trilogy, plus intime, Velvet Goldmine, plus glamour, La Vie en Rose plus harmonieux entre le quotidien et l'imaginaire... ou, du même Jordan, The Crying Game, qui use moins du subterfuge subjectif et plus de l'ambiguïté bluffante.
Mais les temps ont changé, le réalisateur semble chercher de la douceur dans ce monde de brutes, et le mot de la fin, attribué à Kitten, résume bien cette comédie dramatique, humaniste et optimiste : "on s'est bien amusés quand même!" vincy
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