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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Avril
France / 2006
14.06.06
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A LA VIE... ET NOS AMOURS...
Avril, premier long métrage de Gérald Hustache-Mathieu (déjà remarqué pour ses deux précédents courts), porte en lui la marque de son titre. Un film de renaissance, un film des débuts, débordant de sincérité, profond dans sa fragilité et sa délicatesse. Un air ancien de nouvelle vague souffle dans certaines scènes : on se croirait parfois chez
Rohmer ou Truffaut avec des acteurs jeunes très spontanés et très naturels. Quelques flashs de Jules et Jim surgissent lors d’une scène, quand les 3 garçons apprennent la chanson Aline à Avril, par exemple. L’aspect hyper esthétisant des images (parfois même un peu forcé) rappelle l’imagerie d’un Ozon ou d’un Beinex. A l’image de son beau générique d’ouverture, le film procède par touches impressionnistes, des coups de pinceaux de vie. Un récit filmé qui effleure et touche poétiquement.
La représentation, le camouflage et l’artifice constituent les premiers lieux d’exploration du film. Que ce soit dans le domaine de la religion ou dans le domaine artistique, les personnages expriment une recherche de vérité et de pureté du sentiment. Dans le premier, la religion est au service d’un mensonge (les règles de la communauté des soeurs permettent à la mère supérieure d’étouffer un secret de famille, il faut enterrer le passé, on enferme la novice dans une retraite silencieuse soit disant spirituelle). La religion est dénoncée ici comme un lieu de pouvoir et de main mise de l’homme sur son prochain pour l’empêcher de regarder la réalité en face. En ce sens, elle est ici perçue par le réalisateur comme source d’enfermement qui empêche la personne d’être heureuse et libre. L’art, quant à lui, exprime aussi un substitut à la réalité mais, là où la religion enferme, la peinture, elle, exprime un désir d’éclosion, elle témoigne d’une volonté d’ouverture sur le monde, un don en quelque sorte qui n’est pas encore tourné vers l’autre mais qui porte une promesse ou exprime une attente. Les talents cachés d’Avril en peinture se verront vraiment reconnus par Pierre. Tout au long du film, l’art permettra aux personnages de se rapprocher et de s’apprivoiser (cf. la scène où Pierre apprend à Avril à préparer la couleur de la peinture).
Et c’est bien ce désir d’éclosion qui habite tout le film. Au-delà des représentations religieuses ou artistiques qui intéressent le réalisateur, Hustache-Mathieu met en scène des personnages en quête de relation et d’amour, en quête du sens de leur vie. Le cheminement d’Avril, de Pierre, David, Jim et les autres représente l’objet central du film. Presque tous vivent une conversion qui les amène à la vérité toute nue. Cette quête se traduit par la recherche ou la découverte de ce que ni la religion ni l’art ne peuvent leur apporter : aimer et être aimé. Le réalisateur - à ses dépends? - montre ainsi que seul l’amour peut donner un sens à une vie. En ce sens, même si le film critique l’hypocrisie des appareils ecclésiastiques, il reste profondément spirituel, croyant et "religieux" parce qu’il ramène chaque personnage à un acte de foi débarrassé des artifices d’un système : accepter que le sens de sa vie vienne d’un autre, accepter de dépendre d’un autre. L’acte de foi est ainsi montré non pas comme un acte réservé aux transmetteurs officiels de la foi (prêtres, moines ou bonnes sœurs…) mais à tout être qui lâche prise pour aimer. Ainsi pour la quasi-totalité des personnages du film - mère supérieure exceptée ! - Avril, personnage central joué avec justesse par Sophie Quinton, vit une conversion en sens inverse, elle découvre progressivement la vérité de son existence et découvre le bon goût de la vie ("c’est la première fois qu’il m’arrive quelque chose" dit-elle). Elle découvre l’art, les garçons, les plaisirs simples d’un bain de mer, la joie de rire entre amis, de vivre le temps des loisirs. Elle découvre qu’elle a un frère et part à la recherche de son passé. Pierre le bon samaritain qui la protège et l’aime, décide de quitter l’ordinaire de sa vie pour l’aider dans sa quête ; il part dans l’inconnu en acceptant de la suivre. David et Jim vivent leur vie amoureuse au-delà des fragilités en faisant confiance. Du côté de la communauté des religieuses, Sœur Bernadette (Miou-Miou) opère aussi une conversion en osant briser le tabou du secret de son histoire. La communauté des religieuses s’en trouve ainsi remise en question. Une vieille sœur ira jusqu’à demander pardon d’être restée dans le silence et le mensonge.
A l’image du miracle final (certes un peu audacieux mais dans la continuité poétique du récit) l’amour sort vainqueur et s’avère plus fort que la violence. La pureté d’âme d’Avril fait revivre la fresque murale, mémoire des corps innocents. La vie est plus forte que la mort. Le vrai pouvoir est acquis. Ce n’est plus celui dicté par les systèmes et l’artifice mais celui de l’amour. Et quand l’amour fait éclater sa force, plus rien n’est impossible.
Pierre Vaccaro
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