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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Little Miss Sunshine
USA / 2006
06.09.06
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EVERYONE IS ILLUMINATED
«- Tu ne parles plus à cause de Nietzsche ?»
Le titre en dit long. Petit. Ensoleillé. Fable caustique et parfois burlesque. Mais la satire est endiablée, pervertissant ce portrait d’une famille modèle en véritable critique du système binaire (et débile) américain.
D’entrée de jeu, nous devinons bien que l’habit ne fait pas le film. Quand vous réunissez Toni Collette, habituée aux rôles de ménagères au bord de la crise de nerfs, Greg Kinnear, papa et gendre idéal adepte du pétage de fusible, ou Steve Carrell dans un rôle de proustien homo dépressif, il faut évidemment voir dans ce road movie un voyage initiatique qui ne finira pas sur un air mélodieux de « It’s a wonderful world ». Mais plutôt sur les rythmes funky de « U can touch this ».
Il y a quelque chose de pourri au Royaume des « winners » : les fillettes rêvent d’être Miss America, les ados font du sport et font vœu de mutisme, le grand père se shoote dans les toilettes et la tentative de suicide de l’oncle semble presque banale dans cet univers pré-cuisiné (culinairement, ça se résume à des cuisses de poulets frits). Tout le projet semble formaté : et c’est ce qui est jouissif. Chaque duo se renvoie une forme d’humour différent, et, la scène, par conséquent, s’en trouve désopilante. Le réalisateur cherche à nous emmener sur des itinéraires déviants, entre dérision, digressions et déprimes existentielles, où l’autoroute américaine ne constitue pas le seul chemin…
Des sketches ressuscités de l’ère du muet (grâce au Van Volkswagen, véritable usine à gags) aux hystéries toutes contemporaines, l’humour n’est ni feint ni vain. Hilarante rencontres entre ces personnalités hautes en couleurs contrastées, où chaque nuance nous les rend attachant. De leur « insupportabilité » à leur sensibilité. Stoïques ou hypocrites, « drôlatiques » ou névrotiques, ils sont tous une facette de cette Amérique qu’ils vont dénoncer dans un final chorégraphié volontairement grotesque et grossier. D’Albuquerque à Redondo Beach, de l’absurde au tragique, Little Miss Sunshine dresse, sans complaisance un état de l’Amérique dans tous ses états. Jusqu’au carnage : un concours de beauté pour petites poupées, Barbie miniatures de chair et d’os. De quoi nous épouvanter.
Avec un zest de réminiscence hippie, où l’on regrette, manière Berkman et autres Tannenbaum, une forme d’érudition, la comédie citronnée s’attaque au con de père avant de s’en prendre à cette satanée patrie. Tous les syndromes, interdits et tabous y passent au travers de truculents perdants, bien plus flamboyants que les soi-disant winners : clopes, gays, came, obésité, … et même phrases censurables du type le papy qui «a tellement baisé qu’il a le pénis brûlé au second degré.»
Le style y est conforme : des allures seventies et un soleil omniprésent dans les arbres, ce ciel impeccable, sur les visages illuminés, … Du polo Ralph Lauren aux magazines porno, rien ne manque à cette illustration du mythe américain. Cependant, avec brio, le cinéaste se sort bien de ses pirouettes. Le corbillard de mines renfrognées est vite remplacé par quelques sourires. La crise ne couve jamais longtemps, ce qui rend ce film plutôt joyeux et résolument optimiste. Un cirque ambulant où « le sarcasme serait le refuge des perdants ».Ou une astuce supplémentaire pour divertir avec un scénario a priori plombant. Bush à la TV, motels sordides, précarité financière, flics incompétents (mais experts en revues X), rêve de pacotille, on y parle de «divorce, banqueroute, suicide» : que des losers ! Rien de bien trippant. Pourtant ce « trip » nous envoie au septième ciel.
Cette famille est aussi délabrée que son véhicule. On peut la haïr, c’ets toujours l’endroit où on se sent le mieux. Sui le film touche autant c’est sans doute par son esprit : solidaire, généreux, franc du collier. Le premier mot prononcé par le fils aîné et est un cri : « Fuck ». Et le toucher s’avère plus essentiel que la parole, au final.
Dans cette succession d’humiliations perpétuelles, cette famille apprend à se souder et à s’aimer. C’est là que perce le petit rayon de soleil qui permet de croire à une Amérique cherchant son Temps perdu plutôt que celle qui trouve ses réponses Par delà le bien et le mal. Vincy
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