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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Quelques jours en septembre
France / 2006
06.09.06
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CANAUX PARALLELES
«- Et si on restait à Venise le reste de notre vie ?
- Tu veux vraiment savoir ce que tu vas faire le reste de ta vie ?»
Pour son premier film en tant que réalisateur, Santiago Amigorena s’est fait plaisir. Ce scénariste de métier, habitué des films d’auteur Français – donc à petit budget – réunit ici un casting international de haute volée (Binoche, Nolte, Turturro) pour un tournage entre Paris et Venise. Classe.
Le résultat est mitigé. On voit très vite la double ambition de Amigorena : faire à la fois un film d’espionnage « à l’américaine » (distrayant, violent et mélo, avec de nombreux rebondissements) tout en conservant une approche d’auteur « à l’européenne » alliant psychologie et recherche formelle. Cette dernière est la plus réussie, Amigorena ayant un savoir-faire indéniable pour construire des personnages complexes et attachants.
Irène (Juliette Binoche, sexy en ex-espionne relax) doit organiser une rencontre à Venise entre son ami de longue date Elliot (Nick Nolte), lui aussi espion, et ses deux enfants : Orlando (Sara Forestier, souvent juste en ado farouche), qu’il a abandonné dix ans plus tôt, et David (Tom Riley), son fils adoptif aux Etats-Unis. Les deux jeunes gens ne se sont jamais vus auparavant, ne parlent pas la même langue et doivent apprendre à se connaître. Sous l’œil bienveillant d’Irène, cigarillo au bec. Les rôles évoluent au sein de ce trio principal, en même temps que la tonalité du film. Du badinage humoristique (avec qui couchera David?) des débuts, on passe progressivement à la description, plus émouvante, de la naissance du sentiment amoureux et du désir entre Orlando et David. Non sans disputes et déchirements, arbitrés par une Juliette Binoche transformée en maman. Ces personnages sont des êtres égarés, à la recherche de repères existentiels: Irène manque d'attaches à cause de son ancien métier d'espionne, Orlando hait un père qu'elle n'a presque pas connu, David découvre que son père a eu une famille avant de l’adopter. Il est doux, philosophe et Américain, sa demi-sœur française est farouche et porte un nom de garçon. Les identités sont floues, en devenir. Ce que le réalisateur retranscrit à l’image par des belles échappées poétiques et impressionnistes: jeu sur les flous, lumières nocturnes (aurore, crépuscule), plans serrés sur les visages d'adolescents de Sara Forestier et Tom Riley. La quête identitaire se traduit par une curiosité pour autrui, à l’image de ces deux belles scènes de découverte de l'autre, éclairé par une lampe torche ou une allumette. Le fin faisceau de lumière ausculte - palpe presque - ce corps si étranger, si attirant.
A ces enjeux psychologiques se greffe, au second plan, un suspense politique : l’attente d’un évènement majeur (les attentats du 11 septembre) qui devrait faire chuter brusquement la bourse US. D’où un climat de tension perpétuel, et quelques scènes d’action propres au genre du film d’espionnage. Le réalisateur, moins à l’aise dans ce registre, n’évite pas quelques maladresses. Les séquences d’action pure souffrent d’un cruel manque de crédibilité, comme cette artificielle fusillade finale entre Binoche et Turturro.
D’autant que Santiago Amigorena ne choisit pas vraiment entre volonté de réalisme (le 11 septembre), élans poétiques et second degré affiché. La violence est régulièrement désamorcée par le personnage du tueur poète William Pound, incarné par l’excellent John Turturro, dans un registre proche de son rôle de lâche pathétique dans Miller’s Crossing des frères Coen. Dans une des meilleures séquences, son personnage, lancé aux trousses du trio principal, demande gentiment à l’hotellier à quelle chambre il pourrait les cueillir : «- je voudrais leur faire une surprise...» Ce à quoi l’hotellier répond, méfiant, qu’il va quand même les appeler. Pound l’abat alors froidement, et ajoute dans un français approximatif, l’air désolé : «Ce ne serait plus une surprise...». On sourit vaguement, un peu agacé à la longue par ces scénettes modérément burlesques et un peu vaines.
Quelques jours en septembre convainc donc à moitié. Réussir une « tragédie d’espionnage » tout en ménageant des plages comiques, comme en rêvait Santiago Amigorena, relève de la gageure. Trop ironique pour prendre aux tripes, pas assez outrancier pour être vraiment drôle, ce premier film pourtant singulier souffre sans doute de son excès d’ambition.
Eric Vernay
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