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UN CRIME TROP PARFAIT
Pour son troisième film, le français Manuel Pradal réunit une affiche royale : Emmanuelle Béart et Harvey Keitel, deux acteurs à l’aura érotique puissante. Le monstre sacré de l’actor’s studio, habitué des rôles troubles chez Scorsese, Tarantino ou Ferrara, face à l’égérie sensuelle de Rivette et Téchiné. Alléchant. D’autant que le cinéaste n’organise pas cette rencontre n’importe où : à New York, ville-fantasme, l’endroit rêvé pour réaliser un film noir. Obéissant à la mécanique tragique et inéluctable propre au genre, le scénario écrit par Pradal est habile: Alice, ex-taularde alcoolo (Béart) aime l’inconsolable Vincent (Norman Reedus), obsédé par la vengeance depuis le meurtre non élucidé de sa femme, trois ans plus tôt. Alors elle laisse Vincent à ses minables courses de lévriers et prend les choses en main, par amour pour lui. Si le coupable est introuvable, alors il faut en créer un de toute pièce : ce sera Roger (Harvey Keitel), taxi driver amateur de boomerangs, qui ne met pas bien longtemps à céder aux charmes de la troublante Alice. Elle le déguise en assassin pour l’ « offrir » à Vincent, tel un sacrifice sur l’autel de l’amour. Mais Roger ne se laisse pas faire…et revient hanter Alice, prisonnière, coincée entre les deux hommes.
Un crime, c’est d’abord un portrait de femme, machiavélique par amour, esclave de ses sentiments contradictoires. Garce malgré elle. Une belle séquence résume toute l’ambiguïté du personnage : Béart rejoint Keitel, qu’elle feint d’aimer, sur les toits de New York. Comme saisie par la poésie de l’instant, elle semble oublier qu’il vient de lancer son boomerang, et l’embrasse sans plus se soucier du retour pourtant inéluctable de l’objet volant. Lequel s’abat ensuite brutalement à deux pas du couple. Froid calcul ou bref moment de passion inconsciente, Pradal se garde de trancher… Signalons également la prestation remarquable, une fois de plus, de Keitel en musculeux conducteur de taxi transi d’amour.
Un crime n’a semble-t-il pas de « défaut », dans la forme comme dans le fond : photographie splendide, sens du plan indéniable, belle et cruelle histoire d’amour portée par des acteurs au sommet… Pradal maîtrise son sujet, presque trop en fait. . Alors que ses personnages se déchirent, s’aiment, s’assassinent sous nos yeux, l’émotion se fait paradoxalement rare. En ce sens, son film à la beauté lisse et un peu ennuyeuse de certains tops models, ces créatures dont la perfection plastique, leur absence d’aspérité, finit par les déréaliser en tant qu’être de chair et de sang. Certaines scènes, notamment sur la plage (Béart coiffée d’un bonnet, le regard bleu azur et la frange au vent) ressemblent ainsi plus à une page du catalogue La Redoute, collection Automne-hiver, qu’à des plans de cinéma. Tout est trop léché, confortable, domestiqué par la technique irréprochable du réalisateur. Manque un souffle, un déséquilibre, le grain de la réalité (ou de folie) qui fait les œuvres marquantes. Les variations autour du film noir de Raphael Nadjari par exemple, autre Français exilé à New York, sont autrement plus intenses que ce Crime se voulant moite, sensuel et poisseux. Car Manuel Pradal, comme dans ses précédents films Marie Baie des anges et Genosta, ne peut s’empêcher de faire dans la pose « arty », donc artificielle (les courses de lévriers au ralenti). Un maniérisme qui dévitalise son cinéma, et perd le spectateur en chemin.
éric
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