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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Scoop
USA / 2006
01.11.2006
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SCARLETT AU HARAS
"- C'est le plus gros scoop à Londres depuis Jack l'éventreur!!!
- Jack l'éventreur, vous le mettez en majuscules?"
Le dernier Woody Allen prend pour la deuxième fois consécutive (après Match Point) Londres comme décor. Nouveau terrain de jeu donc pour le clown narcissique le plus fameux de New York. Après son brillant drame dostoïevskien, il rempile pour une nouvelle aventure aux côtés de l’omniprésente Scarlett Joahnsson, véritable Jean Arthur des temps modernes. Le ton se fait plus léger dans cette histoire farfelue de reporter émérite revenu de l’au-delà pour annoncer à une jeune et jolie apprentie journaliste son dernier scoop : le richissime politicien Peter Lyman serait un tueur en série... Allen a toujours jalousé les belles gueules, leur donnant le sale rôle...
L’apparition a lieu en plein milieu du numéro de magie de l’Américain Sidney Waterman, alias Splendini, qui, surpris par ses propres pouvoirs, s’associe à la jeune donzelle pour résoudre l’énigme. Le magicien, Woody Allen bien sûr, s 'essaie à un rôle très métaphorique : le prestigitateur et le cinéaste créant finalement l’illusion de la réalité. Juste retour des choses pour le réalisateur qui, enfant, s’est d’abord rêvé en tenue d'Houdini. Il s'offre un personnage volontairement ringard (donc comique). Tous les soirs la même rengaine : prendre un spectateur au hasard dans la salle, lui dire à quel point il est « formidable », puis lui demander s’il a déjà été « dématérialisé » (!) avant de le faire disparaître, puis réapparaître, dans une boîte. Le truc classique de la boîte à double fond, quoi. Le paradoxe du magicien, on le sait, est de ne pas croire lui-même à sa « magie ». Woody Allen s’en amuse, lorsqu’il confronte son personnage Splendini à un vrai évènement miraculeux (le retour d’un mort parmi les vivants) ; bien sûr, il n’en croit pas ses mirettes (à binocles)! Surtout que sa référence bergmanienne au Septième Sceau est du même genre : parodique.
Comme dans Meurtre mystérieux à Manhattan, qui était sa meilleure comédie avant Scoop, il s'agit d'une comédie policière à la fois drôle, légère, avec quelques touches plus sombres. Il est quand même question de meurtres orchestrés par un Jack l’éventreur moderne. Heureusement, Sid Waterman et Sondra Pransky mènent l’enquête, avec un suspect en tête. Duo burlesque qui ne fonctionne plus sur le ressort un peu mélo du couple en crise, comme mais sur un registre plus paternel et même fraternel. Woody ayant vieilli, sa relation avec sa présente partenaire féminine se fait naturellement différente, et perd le rapport de séduction qu’on trouvait avant, du temps de son actrice-muse Diane Keaton. Mais la grâce sensuelle de Scarlett Johansson, son sens de l'humour, son don du rythme, ses formes pulpeuses en font une égérie idéale, tant pour la comédie que pour le romantisme. Elle est crédible aussi bien pour Woody que pour Hugh. C'est sans doute là le plus beau tour de magie. Allen a repéré "son" actrice fétiche, après tant d'essais infructueux pour remplacer Keaton. Le plaisir est ainsi démultiplié. Un scénario accrocheur, une tension trépidente, une comédienne fabuleuse. L’élégant Hugh Jackman ne peut que répliquer sans croire une seule fois qu'il emportera le match. Scarlett Joahsson, sourcils froncés derrière ses lunettes d’écolière, est irrésistible de sensualité et de drôlerie en courageuse (et légèrement inconsciente) journaliste en herbe. Pas très aidée par un Sid-Woody Allen toujours aussi bavard, pleutre et maladroit . On l'affectionne ainsi. Il est en perpétuelle auto-dérision. Interrogé, en pleine réception mondaine, sur sa religion, il répond avec malice : « je suis né de religion hébraïque mais je me suis converti au narcissisme» Qui mieux que lui peut l'écrire et le dire?Des traits de ce calibre parsèment tout ce joyeux joyau, renouant ainsi avec les meilleures cuvées du réalisateur.
L’intrigue quant à elle est habile. Du «whodunit ? » à la Agatha Christie, on change peu à peu de registre alors que Sondra se laisse séduire par le bellâtre Peter Lyman. Le ton se fait plus romanesque, mais aussi légèrement inquiétant. Seul Sid reste convaincu que le fringant politicien est le taré des tarots. Mais qui pourrait croire cet excentrique adepte de la pneumo technique (mémoriser en établissant des connections imagées) incapable de retenir un code à quelques chiffres? Et qui, ce qui n’arrange(ra) rien, s’obstine à rouler à droite en Angleterre…
Le rebondissement final, qu’on ne dévoilera pas ici, ne manquera pas de surprendre le spectateur. On dira seulement que Woody Allen s’y reserve un sort hilarant. A l’image de ce film, savant mélange de comédie et de polar à la sauce Woody Allen. Agatha Christie chez les Marx Brothers, il fallait oser. Un excellent cru, donc, drôle, acidulé et jubilatoire. On va croire que l'Angeleterre est une contrée de jouvence. Allen a retrouvé le goût de nous réjouir. éric
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