Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Ô Jerusalem


France / 2006

18.10.06
 



ISRAEL BRULE-T-IL?





« Si Dieu n’est pas ici, il n’est nulle part »

A n’en pas douter, un tel film se devait d’exister et, si l’on veut rester ici le plus objectif possible, il faut tout d’abord saluer le courage qu’a demandé la réalisation de Ô Jérusalem tout comme l’acte d’engagement que représente l’existence de ce film sur de nombreux plans. Elie Chouraqui a eu l’audace de s’atteler à un projet difficile et épineux voire même risqué pour lui en tant que juif. A l’adaptation du best-seller de Dominique Lapierre d’où est tiré le film, quelques uns, dont Costa Gavras, se sont essayés mais ont vite renoncé : le travail d’écriture pour le cinéma représentait un vrai pari à la fois pour les conditions de tournage à Jérusalem, pour le point de vue à adopter et aussi à cause du contexte brûlant dans lequel s’inscrit ce film, le conflit israélo-palestinien.
En 2006, la question suscite de nombreuses peurs ; l’actualité évoque sans cesse des conflits dans l’impasse. Le film ose aborder de front le sujet et permet de rendre accessible à un grand public une meilleure compréhension des racines de cette guerre aux origines lointaines. Il en ressort un exposé assez classique aux vertus pédagogiques certaines. Le film développe avec clarté et précisions les différentes étapes de l’enchaînement du conflit lié à l’acte de création de l’état d’Israël en 1948. Aux plus jeunes et même aux moins jeunes, il permet de prendre du recul et de mieux comprendre les racines des guerres actuelles. A nouveau nous pouvons prendre conscience de l’inouïe complexité de la crise, du rôle ambivalent des Anglais. Nous voyons aussi comment les extrémistes se sont emparés d’hostilités qui auraient pu cesser. Ô Jérusalem donne cet éclairage important dont nous avons tous besoin aujourd’hui pour éviter d’être simplistes dans nos prises de position.
A un autre niveau, le cinéaste fait aussi un acte de foi (en témoigne l’appel à la paix mis en exergue à la fin du film à travers la citation tirée du psaume de David). Aussi M. Chouraqui donne t-il une des raisons d’exister de ce film : Ô Jérusalem a été fait aussi pour dire aux hommes qu’il est urgent « d’appeler à la paix ». Le cinéma permet alors d’être cet outil au service de l’Histoire, de l’enseignement et de la foi, quelque soit notre appartenance religieuse. Il rejoint la quête collective d’une espérance d’un monde meilleur et de fraternité humaine. Autant de raisons suffisantes donc pour aller voir ce film intéressant et « bien ficelé »…

Sur un plan artistique, le film en tant qu’œuvre, présente beaucoup moins d’intérêt ; il reste peu satisfaisant en général, malgré certaines qualités. La première de ces qualités réside sûrement dans l’adaptation et le montage. Chouraqui a choisi le genre de l’épopée et du film historique classique. Le film expose l’engrenage de la haine entre les deux peuples et il montre parfaitement la rapidité de l’enchaînement des violences. Au niveau du cinéma lui-même, cette cascade de haine, comme une descente aux enfers, est très bien rendue et frappe particulièrement le spectateur par son intensité et sa vitesse. Tout au long du montage, de l’enchaînement des plans et des scènes très pédagogiquement resituées par une indication de dates et de lieu, le film insère des images d’archives. Celles-ci renvoient souvent au nazisme. A plusieurs reprises (et dès le début avec les fumées noires du générique), le réalisateur entend situer l’origine du mal et de la violence dans la shoah. La haine, le totalitarisme et la violence n’ont pour enfants que la haine et les larmes. La guerre engendre la guerre. Le spectateur ressent cette « épine dans la chair ». Il y a en l’homme à la fois la capacité d’aimer et de tuer, une force de vie et de mort, une « écharde » qu’il porte en lui, comme le sceau de son humanité. Pour exprimer cette « écharde dans la chair » à travers une histoire et des images, le cinéaste s’efforce de centrer le récit sur les relations entre deux amis qui deviennent des frères (un juif et un arabe) et qui, à cause des circonstances, deviennent des ennemis. Le film montre que les événements irrémédiables et leurs différences les « obligent » à se faire la guerre, ils n’ont pas le choix. Cet angle d’attaque (des frères ennemis), plutôt que celui de l’exposé historique, s’il avait été plus développé, aurait donné lieu à un film sûrement plus profond et plus universel. Le mariage qui clôt le film constitue à mes yeux la plus belle scène. Elle peut à elle seule résumer tout le propos de Ô Jérusalem ou plutôt ce qu’aurait pu être le vrai sujet du film s’il avait été moins didactique: l’homme engagé dans le combat pour la paix et l’amour est « lié », à la vie à la mort. Le mariage en question évoque ici l’alliance de l’homme avec l’humanité et avec Dieu. Il est question de l’amour qui va au bout, de celui qui se livre tout entier en acceptant la souffrance jusqu’à la mort. Les personnages, unis dans l’amour et la mort, apparaissent à ce moment là comme des icônes d’une humanité livrée au don plein et entier d’elle-même.

Pour finir il importe d’aborder la question de la neutralité voulue par le réalisateur. Ce film a sans aucun doute une raison d’exister mais était-ce à Elie Chouraqui de prendre à bras le corps cette question ? Même si l’on sent les efforts du cinéaste pour rester neutre, plusieurs indices le trahissent et sèment la confusion. Sa présence fréquente à l’écran (ainsi que celle de Patrick Bruel très décevant et peu crédible) non seulement agace mais aussi paraît déplacée car elle est en total décalage avec ce désir d’impartialité. Bruel par l’image qu’il véhicule dans les médias renvoie à l’aspect commercial du film. Quant à Chouraqui, il passe dans son film pour un meneur de troupes (difficile d’oublier le fait qu’il soit le metteur en scène quand il passe à l’écran). Qu’il le veuille ou non, il semble vouloir marquer son empreinte d’une manière trop ostensible et maladroite. Se présentant comme défenseur ou comme porte flamme, il ralentit considérablement l’effet de puissance du film et son impact sur les esprits. Dominique Lapierre et Larry Collins avaient réussi, de par leur neutralité de point de vue, à poser un regard objectif sur un sujet très polémique. Or ici on ne peut s’empêcher de penser que, malgré la somme de travail effectué sur ce film, Chouraqui tire la couverture à lui. Tout artiste devant son œuvre possède la pleine et entière liberté au sujet du point de vue qu’il adopte, être objectif ou s’engager. Au niveau formel, le film se présente à nous comme ayant une vocation historique et pédagogique (Le cinéma comme un outil au service de l’Histoire). Et, alors même qu’il s’avance avec cette prétention, il ne parvient pas à atteindre l’impartialité qu’il revendique. Sur ce point Ô Jérusalem reste équivoque et surtout ne remplit pas vraiment son contrat.
 
Pierre Vaccaro

 
 
 
 

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