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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Mémoires de nos pères (Flags of our Fathers)
USA / 2006
25.10.2006
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HEROS MALGRE EUX
« les héros sont quelque chose qu’on crée, et dont on a besoin»
Contrairement aux apparences, le dernier Eastwood n’est pas un film de guerre. Plutôt un film sur la mémoire, comme l’indique d’ailleurs son titre français Mémoires de nos pères. Que retient-on d’une guerre, de ses protagonistes, et pourquoi, voila ce qui intéresse le réalisateur. Et, plus précisément, la question de l’héroïsme. Qui sont ces « héros » que nous impose l’histoire ? Comme le best-seller de James Bradley - dont il est l’adaptation -, le film retrace un épisode rocambolesque et édifiant de la Guerre du Pacifique. Ou comment, à partir d’une photo (six soldats Américains hissent le drapeau au sommet d’une montagne) on construit un mythe. Eastwood va en déconstruire le processus de A à Z. Du « clic » de la photo après la sanglante bataille d’Iwo Jiwa à la tournée des stades pour les trois « porte-drapeaux » survivants, devenus héros malgré eux. Ils ne seront jamais pris en "flag" de mensonge au nom de la propagande et de la foi.
C’est d’abord l’histoire d’une supercherie. Car le fameux cliché fixe en réalité le deuxième lever de drapeau sur l’île, la première bannière ayant été confisquée par le ministre de la Marine, comme souvenir personnel( !) D’où un perpétuel sentiment d’imposture pour les trois nouveaux « héros », chargés, au nom de leur patriotisme, d’incarner une Amérique en train de se relever, triomphante. Le symbole, c'est bien connu, est plus fort que la réalité. Les caisses de l’armée son vide, il faut donc récolter des Bons pour financer l’effort de guerre. Ce que font John « Doc » Bradley (Ryan Philippe), Ira Hayes (Adam Beach) et Rene Cagnon (Jesse Bradford) avec dévouement : invités partout, ils sourient devant le crépitement aveuglant des flashs tels des rock stars, pour la bonne cause. Mais rien ne peut leur faire oublier l’horreur du champ de bataille où sont restés leurs frères d’armes, sur la sable noir d’Iwo Jiwa. Eastwood pose un regard sobre et plein d’humanité sur ses personnages, confrontés à cette subite célébrité. Tandis que le fringant Rene Cagnon goûte l’expérience sans trop s’interroger, l’Amérindien Ira Hayes, rongé par le dégoût de lui-même, noie sa honte dans l’alcool. Quand on lui demande, à lui et aux deux autres, de rejouer devant un stade la scène de planter de drapeau, devenue symbolique, il explose : «J’ai planté ce truc une fois, je ne recommence pas», à quoi on lui répond laconiquement que c’est seulement du « showbiz » (ça a d'ailleurs des allures de tournée de pseudo-stars type Star Ac). Et puis il y a l’infirmier Bradley, qui repense sans cesse aux blessés qu’il n’a pu sauver, miné par les remords. Pour bien faire sentir ces états d’âmes, Eastwood multiplie les flashbacks renvoyant au charnier d’Iwo Jiwa.
Montage parallèle qui donne au film une allure fragmentée, décousue. Un poil artificiel en effet, ce va-et-vient jouant à fond sur le contraste (paillettes de la tournée des stades/ horreur de la guerre). Manque de finesse qu’on regrette d’autant plus que le réalisateur s’est toujours montré habile avec ce type de structure, de Sur la route de Madison (un frère et une sœur évoquent le passé amoureux de leur mère) à Mystic River (trois personnages face à leur même souvenir traumatique). Là, les retours en arrière, trop systématiques, paraissent forcés. Et les discussions du fils de John Bradley avec un des survivants d’Iwo Jiwa (cousines de celles entre les enfants de Meryl Streep dans Sur la route de Madison) puis avec son propre père agonisant n’apportent pas grand-chose, si ce n’est du pathos inutile («J’ai été un mauvais père… – Mais non, tu es le père idéal» etc.) On ne rentre jamais dedans.
Résultat, Mémoires de nos pères déçoit doublement : il n’est ni le film de guerre que promet l’affiche, ni non plus un véritable pamphlet contre le pouvoir de manipulation des médias ou même une réflexion approfondie sur la constitution d’une mémoire historique. Eastwood se contente de brosser des portraits de soldats plus caricaturaux que touchants (le jeune premier, l’étranger en mal de reconnaissance, le « doc » trop dévoué), tandis que les scènes de bataille, pourtant impressionnantes, n’ont pas l’ampleur qu’elles méritent, reléguées au rang de courts flash-back illustratifs. On a beau admirer la photo signée Tom Stern, en particulier ses magnifiques couleurs désaturées à la limite du noir et blanc, on reste à distance de ce qui se passe à l’écran. Seule la scène de baignade des soldats, jouant comme des gosses dans l’eau encore souillée par le sang des Japonais, émeut vraiment. Eux aussi sont des héros, même si l’histoire avec un grand « H » les ignore, nous dit en substance le réalisateur. Le paysage dévasté, presque lunaire, et cette innocence retrouvée des jeunes militaires, avant sans doute de tuer à nouveau…C’est simple, pudique et beau, tout ce qu’on aime chez Eastwood est là. Dommage qu’on doive attendre cette dernière scène pour retrouver le Clint des grands jours, loin du sous-Spielberg (dont ce Mémoires était à l’origine réservé, mais qui s’est finalement contenté de le produire) qu’on entrevoit parfois ici – on ne peut s’empêcher de comparer les scènes de débarquement sur l’île Japonaise avec la magistrale ouverture d’Il faut sauver le soldat Ryan. Peut-être se rattrapera-t-il avec Lettres de Iwo Jima, le film-jumeau qu’il a tourné en parallèle avec celui-ci, et qui épousera cette fois le point de vue nippon. Affaire à suivre, donc.
éric vernay
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