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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Eragon
USA / 2006
20.12.2006
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LE SEIGNEUR DES DRAGONS
"- Un brin de bravoure pour trois grains de folie"
La lutte acharnée que se livrent le bien et le mal a beau durer depuis la nuit des temps, elle n'en continue pas moins de nous faire rêver, frémir, espérer et au final avancer. Les êtres humains sont ainsi, ils ont besoin de croire en des valeurs qui les dépassent, des héros à qui rien ne résiste, des exploits défiant l'imagination. Ils ont besoin de savoir que, si noire que soit l'existence, il y a toujours au monde quelqu'un capable de se dresser contre l'injustice ou la cruauté. Quelqu'un qu'ils pourront suivre aveuglément pour se libérer de leurs chaînes. Au cinéma, on a eu (parmi les plus évidents) Le seigneur des anneaux, les sagas Harry Potter et Star Wars ou encore Le monde de Narnia. Et aujourd'hui Eragon, chargé de sauver la terre d'Alagaësia d'un tyran cruel et belliqueux. Des mondes magiques, fantastiques ou futuristes que seule la manière de résoudre les conflits, au fond, distingue de notre réalité, mais dont la cosmogonie est systématiquement essentielle pour l'intrigue.
Car dans un film tel qu'Eragon (et plus généralement dans toutes les œuvres d'heroic fantasy), la qualité du background prime sur tout le reste. Si l'on ne croit pas au contexte social, si les interactions entre les différents groupes ne sont pas claires, si quelque chose cloche dans l'alchimie mystérieuse qui consiste à créer de toute pièce un univers crédible et séduisant, tout est perdu. Jamais le spectateur ne parviendra à se passionner pour des aventures qui ne le touchent pas.
Eragon passe cette première épreuve avec aisance. Une terre autrefois prospère réduite en esclavage, une poche de résistance réunissant tous les peuples, une promesse d'événements magiques… le prologue du film dresse à grands traits un tableau limpide et efficace de la situation, avant de nous précipiter dans l'action. Parfait timing, les images en disent toujours plus qu'un long discours.
Oh, bien sûr, l'intrigue est mince comme une feuille de papier, à bien y regarder. Le dernier espoir de tout un pays réside dans un seul individu, absolument pas préparé à un tel destin. Comme Frodon ou Harry avant lui, Eragon découvre le même jour qu'il a un rôle à jouer dans l'histoire, et qu'il s'agit du rôle principal. Jamais facile, mais dans l'ensemble, ce héros-là ne s'en tire pas si mal. Après quelques doutes, il endosse l'habit de sauveur avec beaucoup de conviction. Et reçoit une alliée de choix. La très jolie (et très numérique) dragonne Saphira s'en sort presque mieux que son dragonnier (Ed Speleers, un brin falot, qui plaira sûrement aux adolescentes pré-pubères). Il faut dire qu'elle est particulièrement réussie, Saphira : la prestance et la force alliées à la féminité et au charme, détonnant cocktail ! L'animation ne donne peut-être pas l'impression qu'il s'agit d'un "vrai" dragon (notion amusante concernant un animal mythique), mais elle ne laisse aucun doute sur le fait qu'il s'agit d'un personnage à part entière, tenant une place primordiale dans l'intrigue et offrant à la fois les plus jolies scènes d'action et les plus belles séquences émotion.
Plaisir brut
A la figure du sauveur (presque toujours symbolisé par un être fragile, inattendu dans ce rôle, et parfaitement inexpérimenté) répond d'ordinaire celle du mal absolu, incarné dans un être que l'on ne peut plus qualifier d'humain, et qui détient un pouvoir destructeur et mortel dont il n'hésite pas à faire usage. Ici, il s'agit de Galbatorix, ancien dragonnier ayant causé la perte de ses semblables, mais peu importe : c'est à peine s'il apparaît dans le film. Car Galbatorix, comme tous les méchants absolus, sous-estime son ennemi. Pour ce premier épisode de la saga, ce sont donc ses émissaires qui s'y collent. Commence le défilé de la galerie des horreurs : soldats sanguinaires, Ra'zacs, Urgals et enfin Ombre, en la personne du sorcier Durza, bras droit de Galbatorix. Le duel entre Eragon et Durza marque l'apogée du film, le grand morceau de bravoure sans lequel l'histoire ne serait pas absolument parfaite.
Car oui, du point de vue de la construction, Eragon est vraiment exemplaire. Maniant habilement l'imagerie traditionnelle de l'heroic fantasy, il en suit également le schéma narratif classique sans omettre une seule étape : révélation du destin, apprentissage auprès d'un maître, premier combat, premier face à face avec l'ennemi, première défaite, premiers succès… et grande bataille finale. Développer un récit fouillé en moins de deux heures sans omettre la moindre étape dans la progression dramatique, bravo la maîtrise ! Et attention, rien n'y manque, ni le sens du devoir, ni celui du sacrifice. Et surtout pas le plaisir, brut et dénué de toute arrière pensée, qui envahit chaque scène.
D'accord, Eragon ne révolutionne probablement pas le genre, néglige quelque peu la psychologie de ses personnages, n'aménage pas de vrais zones d'ombre, et reste toujours un peu au premier degré. Mais il le fait avec une telle vitalité et un tel humour que le public visé (les plus jeunes et les ados) n'est pas le seul à se laisser embarquer. Loin du symbolisme béta de Narnia ou du grand spectacle pompier du Seigneur des Anneaux, Eragon offre simplement deux heures de pur divertissement qui réconcilient toutes les tranches d'âge. Cherchez-bien, il n'y a pas tant de films qui peuvent se targuer d'un tel exploit…
MpM
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