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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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L'incroyable destin de Harold Crick (Stranger than fiction)
USA / 2006
10.01.2007
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UN PERSONNAGE EN QUETE DE SON AUTEUR
"- Vous devez mourir. C'est un chef d'oeuvre."
Il est rare que la voix off soit un outil qui serve à bon escient un film. Dans L'incroyable destin d'Harold Crick, la voix off est le film. Elle interrompt et surgit n'importe où. Elle est même un personnage. Elle est celle qui commente, manipule, observe, décrit. Vivante, attachante, intelligente. Cette voix met en relief la vie calculée, grise, minutée, monotone de Harold, autre personnage, certes physiquement existant, mais qu'on ressent comme vide, transparent. Elle rempirait presque cette coque vide ambulante, interprétée avec une forme de naïveté touchante par Will Ferrell. "Une voix de femme me suit." Tout est dit. Conscience à la Jimmy Cricket ou Dieu qui lui parle? Cette voix donne vie au personnage, car cette voix est une écrivaine, qui créé des personnages. Une divinité de la fiction.
Le film est audacieux, ambitieux. Il se rapproche des mises en abîmes de Spike Jonze et Charlie Kaufmann (Dans la peau de John Malkovich, Adaptation). Même si le film ne maîtrise pas complètement son sujet, et subit quelques baisses de rythme, le surréalisme ambiant n'est vraiment pas déplaisant. Source d'inspiration et regard critique, fiction et pseudo-réalité, la vie d'Harold Crick et de son auteur ne répond à aucune question cinématographique classique : ce qui est vrai, ce qui est faux. En revanche, il dessine les contours d'un rapport entre l'imagination, qui puise forcément dans le réel, et le quotidien, qui se laisse facilement influencé par l'art. Et comme le personnage prend vie par lui-même, Harold Crick devient alors un Pinocchio des temps modernes.
Le film opte cependant pour quelques parti-pris. Cet inspecteur des impôts est haït et sans intérêt. "Vous n'aimez pas les cookies? Qu'est-ce qui ne va pas chez vous?" Il symbolise l'aliénation de notre époque. Avec la distance qu'impose l'absurde professeur joué par Dustin Hoffman, on en vient à se dire qu'il s'agit même d'une revanche sur les Leçons de scénario infligées en école de cinéma. Le prince de l'hypertexte et membre de l'oulipisme, Italo Calvino est alors appelé à la rescousse pour justifier cette histoire incroyable : chaque vie a un double sens, la comédie et la tragédie. Si l'écrivaine est une orfèvre de la tragédie, le scénariste préférera la comédie. Quitte à envoyer le critique sur les roses : l'importance n'est pas le chef d'oeuvre, mais l'existence même de l'oeuvre.
Cependant, la dernière partie est du coup moins réussie. En voulant sauver son héros, en brisant le sort fataliste qui lui est destiné, le coincé que l'on affectionnait tant devient presque banal. Et tous les sujets abordés, l'interconnectivité (le plus flou) comme le spectre de la mort (le mieux abouti), ne parviennent plus à créer l'alchimie qui nous ensorcelait durant les deux premiers tiers de l'oeuvre. Sans doute parce que nous ne pouvons pas imaginer qu'une telle histoire, celle d'Harold Crick, puisse donner lieu à un chef d'oeuvre littéraire. C'est là, certainement, la plus grande faille du film, et même son aspect le moins plausible.
Reste l'image hagard de l'auteure, Emma Thompson. Formidable serial killeuse où chaque touche du clavier se transforme en balle perdue et tueuse. A défaut d'avoir été jusqu'au bout dans son cinéma, Marc Forster, toujours un peu dépassé par ses exercices de styles, a flirté avec les sources de l'écriture.
v.
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